14 Décembre 2024
Fallait bien qu’elle vienne, la mère du Burt !
Fallait qu’elle vienne nous raconter tout ça, les ambitions qu’elle avait pour son fils, au prénom lancasterien !
Elle, ce qu’elle voulait, c’est faire de son fils une star de ciné, à tout prix.
Parce qu’elle, la vie ne l’avait pas épargnée.
Enfant sans amour maternel, enfant frappée plus qu’à son tour, mère célibataire accouchant le jour de ses 17 ans, cette jeune femme appartient à ce que les sociologues définissent comment « le quart-monde ».
En voulant le meilleur pour son fils, en réaction à son propre parcours de vie, elle va nourrir un amour inconsidéré. Trop d’amour tue l’amour.
Dans ce texte coup-de-poing, Gilles Granouillet nous présente un incroyable portrait de femme blessée, qui, ne maîtrisant pas les codes attendus par la société, va commettre l’irréparable afin de tenter d’éviter à son fils ce qu’elle même avait connu.
En prenant à bras le corps ce rôle et en nous proposant ce magistral seule en scène, Pamela Ravassard continue son travail dramaturgique consistant à nous montrer ceux que l’on montre rarement : les « petites gens », comme elle dit elle-même avec beaucoup de respect.
Que ce soit dans sa remarquable pièce Femmes de fermes, que ce soit dans sa participation au spectacle Les filles aux mains jaunes, dans sa mise en scène de 65 miles, ou encore dans sa précédente, Courgette, la comédienne et metteure en scène s’attache à nous parler des sans-grades appartenant à « la France d’en bas », celles et ceux qui n’ont d’ordinaire pas la parole.
Au fond, ce Burt pourrait être le négatif de Courgette.
Deux enfants confrontés l’un au manque d’amour, l’autre au trop plein. Le juste milieu ? Pas pour eux !
Durant une heure et vingt minutes, Pamela Ravassard va nous faire beaucoup rire, et surtout va nous bouleverser.
Tour à tour très drôle ou déchirante, la comédienne endosse ce rôle difficile et exigeant avec une maestria de tous les instants.
Ce qu’elle va nous dire et nous montrer force le respect et l’admiration.
Il faut une palette de jeu très importante pour aborder un tel personnage.
Mademoiselle Ravassard fait partie de ces rares comédiennes qui peuvent passer du rire à l’émotion la plus intense en une fraction de seconde, nous cueillant subitement d’une rupture intense, d’un changement de visage ou d’attitude le plus subtil et le plus délicat.
Elle incarne cette mère courage en nous montrant toutes ses facettes, mettant en jeu des émotions intenses, exacerbées, toujours on ne peut plus justes, de celles qui vous touchent au plus profond de vous-même.
Ici, aucun misérabilisme ni pathos de mauvais aloi. Les choses sont dites par la comédienne.
Elle ne juge pas son personnage.
Elle nous prend à témoin.
Elle nous raconte l’histoire du point de vue de la mère du Burt, mais incarnera également tous les autres personnages, avec beaucoup d’à-propos et de finesses : les assistantes-sociales, le proviseur, un juge, un avocat, une autre mère…
La scénographie très réussie de Hanna Sjödin va contribuer pleinement à la réussite de cette entreprise artistique.
Nous sommes dans un entre-deux. Une sorte de salle de classe, avec des chaises que tout le monde a connu dans son parcours scolaire, et un monde de paillettes symbolisé par des rampes de petites ampoules.
Au lointain, un autre espace, sorte de couloir fait de pans en plexigas, qui aura une grande importance dans la dramaturgie. Je vous laisse évidemment découvrir.
Les magnifiques lumières de Cyril Manetta et la création sonore de Frédéric Minière vont réussir à faire en sorte de matérialiser deux univers eux aussi bien distincts.
Tout d’abord le quotidien, la réalité. Ce rendez-vous étrange fixé par un soi-disant prof de biologie que nous ne verrons pas.
Et puis le monde du rêve et du fantasme de cette femme.
Le monde du cinéma, avec des jingles très célèbres et des bandes originales de film très connus. Le choix en est très judicieux. Tout ceci fonctionne à la perfection. Les passages entre les deux univers sont très pertinents.
Musique également, avec la comédienne qui chantera (très bien) à plusieurs reprises, dont une magnifique version de Ain’t got no, I got life, de Nina Simone. Un hymne à la fierté !
Ain't got no mother, ain't got no culture
Ain't got no friends, ain't got no schoolin'
Musique encore avec…
J’aimerais vous raconter la merveilleuse fin du spectacle, mais il me faut évidemment vous laisser la surprise.
C’est en tout cas un autre magnifique moment dramaturgique.
On sort de la salle en ayant l’impression d’avoir reçu un véritable choc : choc littéraire , choc émotionnel, choc théâtral…
Nous sommes interpellés en permanence par cette histoire de descente aux enfers et de résilience.
Ce "presque" seule-en-scène bouleversant est de ceux qu’il est impossible d’oublier, de ceux qui restent en vous très longtemps et vous marquent durablement.
Le spectacle continue sa tournée, et sera donné cet été au festival d’Avignon.
En attendant bien entendu une grande salle parisienne.
Nous en reparlerons !
Un spectacle-upercut, maîtrisé de bout en bout, aux formidables parti-pris, porté par une magnifique et admirable comédienne.
Un immense moment de théâtre !