11 Décembre 2024
« Ce n’est pas du théâtre, c’est de la thérapie ! », affirme cette psychiatre à ses consœurs de ce centre hospitalier public où le psychodrame est utilisé pour soigner les patients atteints de psychose ou de névroses lourdes…
Mais au fait, qui soigne qui ? Est-ce que les soignées ( en l’occurrence durant deux heures et quart, nous ne verrons que des femmes), ne prendraient-elles pas elles aussi en charge les soignantes ?
Le psychodrame, comment ça fonctionne, à quoi ça sert ?
Avec ce remarquable et brillant spectacle, et d’une certaine manière pédagogique, et après un an de recherches, notamment auprès de la psychodramatiste Géraldine Rougevin, Lisa Guez et ses comédiennes explorent cette pratique thérapeutique qui consiste à faire revivre à des patientes par le jeu dramatique des expériences, des scènes traumatiques, afin de leur permettre de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu.
Certes, on peut jouer ce que l’on veut, des humains, des objets, des animaux, on peut faire revivre des meurtres, des histoires d’amour impossible, mais il y a des règles on ne peut plus strictes à respecter.
Une médecin mène la séance, tout comme une metteure-en-scène dirigeant ses comédiens, accompagné de confrères ou de consœurs qui pourront intervenir et jouer également un rôle à la demande de la patiente.
Nous allons donc découvrir des femmes qui soignent, et d’autres qui souffrent.
Nous allons nous immiscer dans ces petites scènes jouées devant nous, et nous allons comprendre comment cet atelier réunissant les thérapeutes et les malades peut être bénéfique.
Bénéfique des deux côtés de la blouse blanche.
Lisa Guez a également voulu mettre en avant les inévitables histoires qui se nouent entre les soignantes de ce centre psychiatrique.
Le propos est très subtil, car nous allons comprendre combien les deux pans de la dramaturgie sont imbriqués au service d’un spectacle percutant.
Et puis bien entendu, comment ne pas rapprocher le principe du psychodrame avec celui du théâtre.
L’une des psychiatres parlera de « la nécessité et la possibilité de nourrir son personnage », une autre expliquera comment jouer… un papier peint, une autre insistera sur le placement et les déplacement des intervenantes, etc, etc.
Au fond, sur ce point, la démarche de Lisa Guez rejoint celle de son remarquable spectacle On ne sera jamais Alceste, à la Comédie Française, qui restera pour moi le meilleur spectacle de l’année-anniversaire de Molière dans sa Maison : ici aussi, comme dans le texte de Jouvet, il est question de parler de jeu, d’interprétation, de savoir comment évoluer sur une scène ou dans un psychodrame.
Quelque chose de troublant se dégage, avec les similitudes entre les deux milieux. Le spectacle est aussi en cela très signifiant.
Le propos est très pertinent.
Six comédiennes vont interpréter dix personnages, changeant en permanence de rôle, de costumes, passant des deux côtés du protocole psychiatrique.
Elles seront tour à tour malades et médecins.
Ces personnages, riches et complexes vont beaucoup nous faire rire, mais pour mieux nous émouvoir.
La petite troupe va nous amuser, beaucoup, énormément, mais pour mieux nous toucher.
Les comédiennes, grâce à une palette de jeu très étendue sont tour à tour étonnantes, bouleversantes, drôlissimes, touchantes.
Oui, nous rions de ces femmes internées dans ce centre, mais soudain, notre rire se fige, car nous comprenons leur souffrance, et nous aussi pouvons mettre des mots sur notre rire qui a été déclenché dans un premier temps.
Ces histoires, que ce soient celles de la femme serpent refusant de s’occuper de son bébé, de l’adulescente voulant prendre possession affectivement d’une de ses camarades de fac, de cette ado violente en énorme demande d’affection, ou de cette jeune d’un quartier transformant son besoin d’amour et ses souvenirs d’enfant maltraitée en terrible agressivité, toutes ces histoires sont passionnantes.
Je me suis retrouvé à attendre avec impatience le retour de tel ou tel personnage afin de découvrir et de mieux comprendre la fin de son histoire.
Les comédiennes sont particulièrement excellentes dans cette capacité à se retrouver sur le fil en permanence, lorsqu’elles endossent un rôle de malade psychique.
Elle parviennent, en une fraction de seconde à nous scotcher sur notre siège.
De plus, elles incarnent de façon jubilatoire ces médecins en proie avec leur propre psyché, leurs transferts émotionnels, sans oublier leurs petites lâchetés face à leur hiérarchie. Ces soignantes sont aussi et avant tout des humaines !
Et puis, elles aussi peuvent développer elles aussi des histoires sentimentales. Je n’en écrirai pas plus.
L’écriture du spectacle est une vraie réussite.
Il s’agit ici d’une écriture collective, propice au travail de création et d’improvisation.
Des formules hilarantes nous font éclater de rire !
La scénographie et les lumières de Lila Meynard participent pleinement à la réussite de cette entreprise artistique.
Nous sommes certes dans une salle d’activité qui aurait bien besoin d’une rénovation, mais nous pouvons voir également le couloir qui permet d’y accéder. Dans cet espace-là, se dérouleront aussi des moments dramaturgiques très importants.
Cerise sur le gâteau, un merveilleux message humaniste, mêlant espoir et fraternité, conclut ce spectacle.
Standing ovation ! Des « Bravo ! » qui fusent ! Quoi de plus normal !
Il faut absolument aller découvrir ce magnifique moment de théâtre, qui nous confronte de façon très intelligente à nos démons personnels ou collectifs.
Deux heures et quart d’un spectacle très maîtrisé, qui passe beaucoup trop vite.
Quand le fond rejoint la forme en terme de totale et brillante réussite.
DES ALLERS-RETOURS ENTRE FICTION ET RÉALITÉ, PATIENTES ET SOIGNANTES, LIEU D'ENFERMEMENT ET ESPACE DE JEU, POUR RETROUVER UNE PAROLE ET UN CORPS.
https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-24-25/theatre/psychodrame-lisa-guez