7 Novembre 2024
Voici cent années, disparaissait Franz Kafka.
Pour commémorer cette disparition, les Editions Nous et La Muse en circuit, le Centre National de Création Musicale, ainsi que le dessinateur et scénariste Marc-Antoine Mathieu proposent un somptueux coffret regroupant pas moins de cent-quatre-vingt trois fiches, réparties en trois catégories.
Cent-cinq fiches présentent les textes de Kafka, traditionnellement intitulés « Les aphorisme de Zürau », dans une nouvelle traduction inédite de Robert Kahn.
Il est question ici de s’emparer de ces écrits en leur donnant une littéralité contemporaine, ainsi qu’une sorte de sécheresse rappelant au plus près la langue allemande si singulière de l’auteur.
Robert Kahn a souhaité, avec l’éditeur, publier ces textes sous le support-fiches, permettant ainsi de se livrer à une lecture aléatoire, mais aussi de pouvoir lire une ou plusieurs fiches à la suite, et prendre ainsi en compte chaque fragment de texte indépendamment des autres.
Soixante-deux fiches regroupent deux séries de dessins de Marc-Antoine Mathieu, « Le cercle restreint » et « Les environs de l’impossible ».
Si l’on retrouve dans la deuxième série le style graphique et « plutôt coercitif, comme une zone de confort » pour reprendre les mots de l’artiste, le premier recueil présente un beau travail au lavis, fait de paysages tourmentés, de maisons étranges et parfois inquiétantes.
On sait l’importance de Kafka dans l’œuvre du dessinateur : le héros de sa principale création, Julius Corentin Acquefacques, ne porte-t-il pas un nom qui est phonétiquement l’inverse de celui de l’auteur austro-hongrois ?
Et puis dans ce coffret, figurent six fiches de QR-Codes, grâce auxquels le compositeur Wilfried Wendling nous renvoient sur des créations sonores et des videos, soit plusieurs heures de musiques et de films.
Une nouvelle fois, le patron du CNCM a travaillé avec Denis Lavant.
Les fidèles lecteurs de ce site se souviennent de leur collaboration sur le spectacle Erreurs salvatrices.
Pour notre plus grand plaisir, nous avons retrouvé le comédien, sur la scène de la Maison de la Poésie, pour une lecture-performance de deux fiches.
Au lointain, un écran vidéo où seront projetées les œuvres de Marc-Antoine Mathieu.
Une voix ! Encore et toujours. Reconnaissable entre toutes.
Eraillée, un peu haut perchée.
Elle s’élève des coulisses, amplifiée.
Bon, bon, bon, BON ! BON ! Denis Lavant commence à nous dire les mots de Kafka.
Et moi de penser immédiatement en entendant ces premières phrases un peu étranges, un peu sévères et sèches, que celui qui fait sonner si merveilleusement la langue de Beckett ne pouvait qu’être à même de nous faire vibrer et résonner en nous les mots de Kafka.
Une chaise métallique, au style austère et très graphique.
De sa gestuelle inimitable, sautant, bondissant, tournant autour, dans le noir avec sa lampe torche, Denis Lavant plante un décor, un monde étrange, un peu inquiétant, en phase totale avec ce qu’il va nous dire.
La création sonore de Wilfried Wendling est en parfaite harmonie avec ce qui se passe sur la scène.
Et nous de retrouver ce qui fait le caractère passionnant et exigeant de sa musique électronique.
De grandes nappes de basses, ultra-basses, infra-basses s’envolent des enceintes L-Acoustics de la Maison de la Poésie.
Ces graves, au niveau sonore important, vous prennent aux tripes, font vibrer votre ventre.
Un côté viscéral, organique se développe rapidement. On sent parfaitement une dimension tellurique dans cette partition certes complexe mais toujours aussi intéressante.
Ces nappes sont bientôt accompagnées de grands clusters aigus, métalliques, contrastant avec le substrat grave du propos.
Puis, des sons eux aussi étranges finissant par apparaître, comme des petites explosions de bruit blanc.
Le comédien se glisse volupteusement dans cette composition fascinante, interagissant avec les grands contrastes sonores et musicaux, jouant de sa voix, de son corps, lisant avec passion, intensité le texte de Kafka.
Les feuilles de texte une fois lues sont jetées rageusement à terre.
Les illustrations de Marc-Antoine Mathieu viennent elles aussi conférer une dimension onirique et étrange au propos général.
Les paysages sombres, brumeux, réalisés dans des cercles, nous ramènenet aux environs de Prague, là où l’écrivain aimait à se promener.
Et puis les grandes lignes noires, très graphiques du deuxième volet « Les environs de l’impossible » nous déstabilisent elles aussi, d’autant que de magnifiques photos de Denis Lavant en très gros plan y apparaissent.
Le visage du comédien nous fascine, imbriqué dans des univers de traits noirs et d’a-plats de la même couleur.
Le jeu dramaturgique, la création musicale et les puissantes illustrations nous plongent véritablement dans un univers kafkaïen, transcrivant parfaitement la puissance et le caractère unique de la pensée de l’auteur.
Une ovation sera réservée à Messieurs Wendling, Lavant et Mathieu.
En sortant de la salle, nous n’avons qu’une seule envie, celle de prolonger cette expérience unique vécue grâce au coffret et à ses fiches.
Cette démarche artistique et éditoriale est rare.
Elle rend un magnifique hommage à Kafka, nous rappelant combien est plurielle l’œuvre de cet écrivain majeur, trop souvent réduite à un ou deux romans et à un adjectif.
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