24 Octobre 2024
Il était une fois…
Il était une voix…
Un jour de la vie d’une femme.
Un conte initiatique. Une fable « magique », qui nous ramène tous autant que nous sommes à notre condition humaine.
Le compositeur Sir George Benjamin et le dramaturge Martin Crimp nous embarquent dans ce voyage d’une heure et quart dans un monde d’une trompeuse réalité, un univers de désillusions permanentes : une vision fantasmée de notre humanité.
Le drame s’est déroulé avant que le rideau se lève.
Une Femme. Avec un grand F. On ne saura jamais son identité.
Toutes les femmes ? Le genre humain dans son entièreté ?
Toujours est-il qu’elle a subi un véritable traumatisme : elle vient de perdre son enfant, un bébé mort dans ses bras.
Elle découvre que dans la journée qui vient, si elle parvient à rencontrer une personne vraiment heureuse, son petit lui sera rendu.
Elle entreprend donc une quête, un peu à la manière d’Alice, à la rencontre de plusieurs personnes : deux amants à la relation asymétrique (lui se définit comme polyamoureux), un artisan ex-fabricant de boutons viré pour cause de remplacement par une machine, une compositrice et son assistant, sans oublier un collectionneur pétri de solitude, qui n’a d’yeux que pour Klee, Hals, Basquiat Warhol, Manet, et consorts.
On l’aura compris, un monde où le bonheur est aussi présent qu’une fleur sur la banquise polaire.
Et puis, alors que la journée se termine, ce sera la rencontre avec Zabelle.
Les deux femmes se sauveront mutuellement, tout comme nous, probablement, en trouvant la paix, l’harmonie et la prise en compte de l’Autre.
Ici, ce qui aura compté, ce n’est pas la destination. C’est le voyage.
C’est donc la création parisienne de cet opéra, après qu’il eût été donné en juillet 2023 au festival d’Aix-en-Provence.
C’est la cinquième œuvre lyrique créée en commun par Le compositeur et l’auteur, qui n’aime pas le terme de librettiste.
C’est de l’austérité apparente du propos et de la partition que vont surgir de façon magistrale toutes les couleurs de l’œuvre.
Ici, tout sera affaire de nuances et de contrastes.
A la tête des musiciens du prestigieux Philar, l’orchestre philarmonique de Radio-France, George Benjamin nous ravit de sa capacité à nous plonger dans une sorte d’expectative permanente.
Dans cette œuvre, il se passe toujours quelque chose de passionnant à écouter.
La durée assez courte permet assurément une tension de tous les instants.
Grandes notes tenues, clusters dissonants, bourdons très graves, notes aigües très courtes par les cuivres, silences grandiloquents, le propos musical est passionnant.
Nous sommes en permanence comme rassurés par une déstabilisation de tous les instants.
L’orchestre sous la baguette de Sir George parvient parfaitement à reproduire les crescendos sonores, passant du plus intimiste pianissimo au plus imposant des fortissimi. Ces progressions-là sont envoûtantes.
Les nuances les plus fines et les contrastes sonores les plus importants nous enchantent !
La mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-christine Soma repose également sur un sentiment d’austérité. Des miroirs métalliques entourent le plateau, ainsi que le sol.
Un monde d’apparences plus ou moins trompeuses, un monde où chacun se regarde soi-même.
Des transitions très rapides et très réussies permettent d’introduire les personnages successifs, qui apparaissent poussés sur des petites structures.
Outre le costume des personnages, seul le dernier tableau proposera véritablement de la couleur, avec la création vidéo très réussie de Hicham Berrada. Son jardin aquatique,sur plusieurs plans, nous montrant des fleurs qui reviennent à la vie, est magnifique.
Et puis les artistes lyriques. Tous irréprochables.
En tout premier lieu, Marianne Crebassa est déchirante et bouleversante dans le rôle principal.
Celle qui fut notamment un magnifique Orphée ici même, salle Favart, et une Cerentola enthousiasmante à Garnier, Mademoiselle Crebassa irradie le spectacle, d’autant qu’elle est en permanence sur le plateau.
Un rôle très exigeant, et sans doute épuisant.
La mezzo parvient parfaitement à restituer les émotions de cette femme déchirée, elle excelle à camper cette femme bouleversante. Dans ce rôle difficile, elle nous prouve une nouvelle fois ses qualités de comédienne.
D’une voix puissante, elle maîtrise les passages les plus forts de la partition. Il faut une absolue maîtrise de ces Forte pour pouvoir appréhender ce rôle difficile et éprouvant.
Elle sera ovationnée lors des saluts. Comme c’est normal !
Le baryton John Brancy nous impressionne par l’étendue de sa tessiture.
Il parvient à se hisser dans les aigus avec une facilité déconcertante. En collectionneur ou en artisan, il illumine lui aussi le plateau dans toutes ses apparitions.
Le couple Cameron Shahbazi et Beate Mordal n’est pas en reste.
Le contre-ténor, en serial lover pathétique, nous sidère lui aussi par sa grande facilité à descendre dans les graves. Une fort belle interprétation.
La très jeune soprano norvégienne nous ravit elle aussi avec deux rôles assez difficiles. En amoureuse allongée lascivement, ou en compositrice marchant sur... (je vous laisse découvrir), elle marque durablement le public, définitivement séduit par le timbre de sa voix.
Quant à Anna Prohaska, sa courte mais profonde interprétation de Zabelle force là aussi le respect.
Elle est capable sans problème d’emmener la fin du spectacle dans une direction à laquelle on ne s’attendait pas forcément.
Le duo Marianne Crebassa- Anna Prohaska est un grand moment musical.
Cette œuvre est donc de celles qui marquent les esprits. Cette plongée dans un monde d’illusions, de tromperies quant à notre condition humaine, cette plongée-là est un intense et magnifique moment musical et dramaturgique.
On ressort de l’Opéra Comique profondément interpellés par cette pièce assez courte, à la fois âpre et réjouissante, sombre et lumineuse.
Picture a day like this de George Benjamin & Martin Crimp
Martin Crimp et George Benjamin ont réussi un nouveau coup de maître avec cette œuvre délicate, poignante et lumineuse, procédant par tableaux et donnée sans entracte, que nous aurons le priv...