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La belle et la bête

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Belle, belle, belle, comme toujours !

Oui, elle porte bien son nom, la Belle, et ce depuis au moins le 1er siècle de notre ère, lorsque l’auteur et philosophe medio-platonicien romain né en Algérie Lucius Apuléius écrit la toute première version connue de ce conte dans un texte intitulé L’âne d’or ou les métamorphoses, un conte redécouvert en France par Gabrielle-Suzanne de Villeneuve en 1740 et définitivement popularisé par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1756.

Sarah Gabrielle a eu la bonne idée d’adapter ce conte-type, selon la classification Aarne-Thomson-Uther, pour en faire comme à son habitude un épatant spectacle, bourré de parti-pris tous plus judicieux les uns que les autres.

Durant une heure, nous allons donc retrouver ces personnages merveilleux que sont cette jeune femme prête à se sacrifier, ses sœurs insupportables, son brave papa, et surtout, surtout, la Bête qui va à la fois nous terrifier et nous bouleverser.

Une voix ! Et quelle voix ! Un timbre qui nous rappelle tellement de souvenirs !
C’est Daniel Mesguich qui en off prononce la traditionnelle et incontournable phrase « il était une fois », et qui introduit ce que nous allons voir, alors que devant nous, s’ouvre un grand livre de contes.
Tout peut commencer…

Sur le plateau entièrement noir, les très belles images s’animent, par le biais de très belle et très réussie création video de Baptiste Magnien.
Ces séquences projetées sur des tulles noirs nous planteront admirablement les différents décors, avec quelques clins d’œil au célèbre film de Cocteau. Je n’en dis pas plus, afin de vous laisser découvrir.

Pour mon plus grand plaisir, j’ai retrouvé le ton tout à fait réjouissant de Sarah Gabrielle.
L’adaptatrice et metteure en scène sait à la fois parfaitement respecter à la lettre l’esprit d’un conte tout en insufflant un ton très moderne, avec des références on ne peut plus actuelles (ici, le père-marchand sera par exemple écrasé par les taxes et les impôts, suivez mon regard...), et un humour décalé, qui permet que chaque spectateur, petit ou grand, puisse faire fonctionner ses zygomatiques à plein régime.

On se souvient par exemple de ses adaptations de
Quasimodo, Hercule et ses douze travaux ou encore Robinson Crusoë.

Ici, nous retrouvons tous les thèmes qui font de ce conte une passionnante histoire de rédemption, d’acceptation de la différence ou encore de prise en compte de l’Autre.
Tous ces thèmes passent admirablement auprès des petits, qui suivent très attentivement toutes les péripéties et autres rebondissements dans un grand silence, et qui participent lorsque le besoin s’en fait sentir.

Et puis, triste actualité oblige, un thème émerge à plusieurs reprises, pas ou peu évoqué originellement : celui du consentement.
De très subtils dialogues ne laissent planer aucun doute quant au bien fondé du sujet.
C’est très bien vu et très pédagogique, sans avoir l’air d’y toucher.

La scénographie et les beaux décors de Camille Ansquer seront très bien mis en valeur par les belles lumières de Tom Bouchardon, avec notamment des contres et des douches qui révèlent lorsqu’il le faut de riches meubles ou encore le fameux rosier.

Et puis les comédiens !
Un trio épatant va interpréter tous les personnages de l’histoire.

La Belle, c’est Clémence Rousseau.
Pour son première rôle au théâtre, la jeune comédienne crève le plateau.
On ne peut qu’être séduits par son personnage de jeune femme dévouée, qui va accepter le sacrifice ultime.
Mademoiselle Rousseau nous fait parfaitement comprendre l’évolution des sentiments de la Belle envers son « ravisseur ».
Son duo avec la Bête fonctionne à la perfection.
Je vous conseille de bien retenir son nom !

La Bête, c’est Baptiste Deschamps.
Impeccable en monstre (son costume et son masque sont très réussis, bravo à Alice Touvet), le comédien impressionne et réussit à faire passer beaucoup d’émotion alors qu’on ne voit pas son visage.
Il incarne également… Les deux sœurs acariâtres, grâce à… Là encore je vous laisse découvrir.
La trouvaille très drôle fonctionne elle aussi à la perfectionne et nous fait beaucoup rire.
Une sacrée prestation !

Et puis le papa, donc !
Serge Noël (dont on se rappelle toujours son personnage de papa cette fois-ci machiavélique dans
Les romanesques, d’Edmond Rostand) campe ce personnage avec une faconde et une vis comica certaine. (le runin-gag de la sciatique est formidable ! )
Pour autant, on se prend de compassion et d’empathie pour cet homme brisé par un monde d’affaires impitoyable.
Son personnage en perd même ses cheveux, même s’il n’est pas atteint de trichotillomanie.

Il me faut également vous préciser que Sarah Gabrielle sera présente elle aussi, par le truchement des images video retravaillées, grâce à des filtres numériques.
Certaines de ses séquences muettes font parfois penser au cinéma expressionniste allemand du début du XXème siècle. C'est très beau !

Au final, petits et grands s’émerveillent devant ce spectacle totalement réussi et maîtrisé.
Sarah Gabrielle poursuit inlassablement son passionnant chemin artistique qui consiste à prendre les enfants pour des spectateurs doués de raison, capables d’apprécier un spectacle ambitieux où ils peuvent se projeter et en tirer toutes sortes d’enseignements humanistes.
Une nouvelle fois, de la très belle ouvrage !

Un petit selfie ? © Photo Y.P. -

Un petit selfie ? © Photo Y.P. -

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