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[Reprise] Racine carrée du verbe être

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Reprise au théâtre national de La Colline du chef-d'œuvre (oui j'ai pesé ce mot composé) de Wajdi Mouawad, à partir du 20 septembre prochain.
Il faut voir ou revoir ce spectacle, cette bouleversante tragie-comédie humaine.
Heureux ceux qui auront le bonheur d'y assister pour la première fois !
Voici ce que j'écrivais en octobre 2022.

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Mouawad au carré !
Wajdi puissance x !

Ou comment recevoir une standing ovation dès le premier salut !
Ou comment proposer une magistrale, vertigineuse, foisonnante fresque, une passionnante et bouleversante tragi-comédie humaine, qui va mêler histoire, politique, physique, philosophie, métaphysique et même mythologie.

Et si Wajdi Mouawad venait d’écrire et de monter son chef d’œuvre, celui qui restera associé définitivement à son nom au sein du patrimoine culturel mondial, à l’instar de La naissance de Vénus pour un certain Sandro Botticelli ?

Avec ce nouvel opus de son œuvre singulière, le dramaturge-metteur en scène-comédien nous pose des questions fondamentales, des interrogations à la fois simples et d’une sidérante complexité, nous renvoyant tous autant que nous sommes à notre propre condition d’être humain.

4 août 2020.
Deux explosions dans le port de Beyrouth.
Un dramatique accident provoquant à chaque Libanais « des acouphènes des années oubliées ». Je ne peux m’empêcher de citer la merveilleuse formule de Mouawad.
Un nouveau traumatisme dans ce pays qui en a connu bien d’autres. Comme une écholalie sociétale et historique.

L’occasion pour le patron de La Colline de s’interroger.
Que serait-il devenu s’il était resté au Liban, si sa famille n’avait pas décidé de fuir la guerre et de s’exiler ?
Que ferait-il, où serait-il aujourd’hui si la destination de cette immigration n’avait pas été la France puis le Canada ?
Quel réalité serait alors la sienne ?

Durant six heures, interrompues par deux entractes, nous allons assister à une exploration d’un champ des possibles durant une semaine de la vie d’un homme, nous allons être confrontés à trois hypothétiques destins d’un certain Talyani Waqar Malik, trois destinées parallèles d’un même enfant de dix ans obligé de fuir son pays.

Au fond, nous allons visualiser sur la scène trois existences, trois vies, qu’aurait pu mener cet homme, dont on devine bien la véritable identité.
Chaque spectateur est alors forcément renvoyé à sa propre histoire, sa propre destinée.
Que se passerait-il si au départ les variables humaines avaient été ne serait-ce qu’un tant soit peu différentes ?

Certes, le propos n’est pas nouveau, mais ce qu’en fait l’auteur de cette Racine carrée du verbe être, et comment il s’en empare va nous bouleverser.
Parce que ce propos-là est universel, et parce qu’il est directement relié à une dimension métaphysique qui depuis la nuit des temps, questionne chaque être humain.

Sur la scène, nous serons donc confrontés à trois Talyani Waqar Malik, chacun évoluant dans son espace-temps, son continuum personnel.

 

La mise en scène va se révéler d’une formidable et jouissive virtuosité.
Si au début et pendant une bonne partie du spectacle, les différents lieux et temps sont clairement mentionnés par des indications écrites projetées sur scène, des costumes ou des accessoires, tout ceci disparaît pour devenir une succession de scènes entrelacées, imbriquées, sans que nous ne soyons jamais perdus.
C’est parfois bluffant, notamment lorsque un personnage s’adresse à deux Talyani différents.
Nous ne sommes alors jamais perdus. Tout ceci relève de la plus délicate, la plus subtile et la plus réussie des trames dramaturgiques.

Et puis tout débouchera sur la fameuse racine carrée, en l’occurrence celle de 2, ce rapport de la diagonale d’un carré sur son côté.
Un nombre irrationnel. Lui aussi.

La dimension mathématique débouchera alors sur des notions philosophiques et métaphysiques essentielles.
Dans une vertigineuse démonstration, alors que nous serons nous mêmes mis en situation de suivre un cours de physique, équations et schémas à l’appui, les thèmes de la rédemption, du pardon, de la réconciliation, notamment dans les rapports filiaux, seront mis en avant de façon merveilleuse et bouleversante.

De ces trois destinées émergera alors une universalité. De l’infiniment petit à l’infiniment grand.

Une magnifique distribution interprète ce spectacle à nul autre pareil.
Comédiennes et comédiens, Mouawad en tête, nous racontent de façon passionnante ces histoires-là, interprétant chacun plusieurs rôles, plusieurs partitions imbriquées.

Avec de très grands moments, qu’ils relèvent de la plus sombre tragédie (nous n’en menons vraiment pas large dans des scènes de chambres d’hôtels), ou de la plus drôle des comédies (une scène de repas de famille est hilarante.)

Je n’en finirais pas de citer les hauts-faits de chacun sur le plateau, mais je tiens à mentionner Jérémie Galiana qui notamment nous fait retenir notre souffle dans un très long et bouleversant monologue.
Le silence dans la grande salle est alors assourdissant. De ces silences très rares qui en disent beaucoup sur la qualité et l’intensité de ce qui se passe sur scène.

Ce spectacle est également d’une magnifique beauté visuelle, avec notamment la scénographie très réussie,d’Emmanuel Clolus, comportant quelques éléments amovibles matérialisant différents espaces, différents lieux.

Des projections video délicates au lointain, les très belles lumières d’Eric Champoux, la musique originale de Pawel Mykietyn participent elles aussi à la totale réussite de ces six heures.

Vous l’aurez compris, il vous faut absolument et coûte que coûte aller découvrir cette nouvelle pierre dans l’édifice dramaturgique de Wajdi Mouawad.

C’est une merveilleuse leçon de théâtre et d’humanité, dont on ressort profondément marqué.

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

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