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Les consolantes

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Le plastique c’est fantastique…

Une scène entièrement recouverte de pans de matière plastique translucide, au sol, un cyclo de la même matière accrochée aux cintres du lointain.
Une table et des tabourets eux aussi recouverts…
Un lieu prêt à être reconstruit, où tout devrait et pourrait recommencer.

Les Bienveillantes, dans la mythologie grecque, étaient les déesses de la vengeance et du châtiment. On les appelait ainsi, d’un nom très positif, pour conjurer leurs maléfices. Jonathan Littell en fit le titre de son roman-choc, Prix Goncourt 2006.

Les Consolantes, grâce à Pauline Susini qui a écrit et mis en scène ce remarquable spectacle, sont elles aussi des déesses : celles qui vont présider aux formes de consolation et de reconstructions intimes de celles et ceux qui ont eu à souffrir.

Celles et ceux qui ont vécu et survécu !
Celles et ceux qui ont côtoyé l’horreur des attentats du 13 novembre 2015.

Mademoiselle Susini a travaillé à partir d’entretiens intimes des survivants de ce drame. Elle a trouvé des mots terribles, relatant des expériences traumatiques, décrivant également des moments postérieurs à la catastrophe, juridiques, médicaux ou familiaux.

Il a été question pour elle, par le biais du théâtre, du passage de ces entretiens aux planches de la scène, de contribuer culturellement à la « fabrique d’une mémoire collective », et d’un travail de « refondation collective », pour reprendre ses propres mots.

La démarche artistique va fonctionner on ne peut mieux, bouleversant les spectateurs , les amusant aussi parfois, en leur faisant prendre véritablement conscience de nombreuses problématiques.

Sans pathos de mauvais aloi.
Ici, les choses seront dites, montrées, sans chercher à faire pleurer dans les chaumières.
L’auteure et metteure en scène a parfaitement su transposer un propos sociologique en une véritable et passionnante dramaturgie.

Voici pour le fond.
Pour la forme, nous attendent durant un peu plus d’une heure et demie, une succession de scènes, toutes tirées d’une impitoyable réalité.
Tout ce que nous raconteront les nombreux personnages de la pièce, tout ceci a été vécu.

Nous allons comprendre bien des choses, bien des souffrances, bien des traumas.
Mais nous allons également percevoir les difficultés de reconstruction individuelle de ceux qui ont survécu à cette horreur.

Les problématiques sont abordées par une suite de tableaux très précis, dans cet univers aseptisé, neutre. Le propos est très pertinent.
Comment survivre, seul ou en couple, comment prendre en compte le deuil, comment évaluer la réparation via le fonds de garantie, comment estimer (le peut-on seulement…) le préjudice, comment tenter de réparer…
Autant de sujets qui seront évoqués, et qui nous permettent de nous souvenir mais aussi de comprendre ces mécanismes de reconstruction (ou de non-reconstruction, d’ailleurs…).

Nous sommes au théâtre.
Les morts peuvent parler et exister.
Des défunts qui peuvent beaucoup nous émouvoir et même nous faire rire. Un enterrement ne se déroulera pas tout à fait comme prévu.
Ce ne sont pas les amateurs de Johnny Hallyday qui me contrediront. (Je n’en dis pas plus, la scène est très drôle).
C’est une autre force du spectacle que de pouvoir faire en sorte que le rire participe également à la prise en compte collective de tout ceci.

Quatre comédiens irréprochables et d’un total engagement vont interpréter tous ces personnages.
Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, (dont j’avais adoré le seul en scène Point cardinal), Sol Espeche et Nicolas Giret-Famin (je me souviens encore de sa très belle prestation dans Anaïs Nin au miroir) incarnent tour à tour des victimes, des médecins, un avocat, des assureurs, et j’en passe.

Avec beaucoup de justesse, de puissance et de délicatesse, ils nous montrent, ils nous disent.
Les quatre artistes nous font souvent passer en quelques secondes d’une émotion à une autre, en nous cueillant, sans que nous nous y attendions.

De très belles scènes, d’un point de vue formel, nous émerveillent, comme par exemple un dialogue éclairé à la seule lampe torche, ou encore la transformation finale du plateau.

Il faut mentionner également la création sonore très réussie de Loïc Le Roux. C’est un spectacle qu’il faut également écouter attentivement pour percevoir les subtilités sonores.

Ce bouleversant spectacle, maîtrisé de bout en bout, est une véritable réussite.
Le propos et son traitement sont impressionnants de vérité, de justesse, mettant en œuvre nos facultés de compréhension et d’empathie.

Et puis surtout, une question plane durant tout le spectacle : Et si j’étais à leur place, comment aurais-je réagi ?
Là encore, c’est la fonction même du théâtre que de nous mettre en situation de projection et de catharsis.

N’ayant pu assister la saison dernière à l’une des représentations parisiennes au Théâtre 13, j’ai eu beaucoup de chance de découvrir ce très beau moment de théâtre à cinq kilomètres de chez moi, dans cette magnifique salle qu'est le théâtre Majestic, à Montereau-Fault-Yonne !


Et le groupe A-ha de chanter...
Take on me,
I'll be gone In a day or two...

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