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La pie qui dit

© Photo M.V.R -

© Photo M.V.R -

Les planches sur la scène.
Celle de la Grange aux étoiles, au Grand-Bornand.

Ces planches, longues et coupées en biais, dressées verticalement, représentent non pas un petit bois, mais bien une grande forêt.
Des arbres stylisés.

 

Lucie Catsu propose aux spectateurs à partir de trois ans, un délicieux spectacle poético-philosophique fait de tendre délicatesse et de douce subtilité.

Une bulle d’une demi-heure de pure dentelle théâtrale, telles ces broderies que les grand-mères d’antan confectionnaient le soir, près de la cheminée.

 

Mademoiselle Catsu nous en présente une, grand-mère. Celle d’Anouchka, la petite fille slovaque qui n’a qu’une seule idée en tête : traverser la grande forêt. Malgré sa famille qui la prévient qu’une vie entière ne suffirait pas, elle passe à l’acte.

Effectivement, devenue très âgée, elle se trouve toujours parmi les grands arbres.

Survient une pie.

 

Le dicton slovaque sera vérifié : celui qui attrape une pie, rembobine le fil de sa vie. Capturant l’oiseau, Anouchka remonte le temps, se penchant sur sa vie passée.

 

Ce conte, que la comédienne nous offre avec sincérité et talent, nous démontre combien il est important de prendre son temps, de savourer chaque instant, de ne pas brusquer les étapes. La dimension philosophique est évidente aux yeux des grands et les petits spectateurs reçoivent eux aussi le message à leur mesure.
 

© Photo M.V.R.


Ici, les habitués du théâtre de Tchekhov se sentent chez eux. L’âme slave est omniprésente et pas seulement dans les mots d’origine parfois employés par la comédienne. Une grande humanité émane de ce que nous raconte Lucie Castu.

 

Son théâtre est un théâtre d’objets.

Tout au long du spectacle, quantité de figurines prendront vie, délicatement et parfois malicieusement.

Le public ne s’y trompe pas, qui reçoit ces si jolies trouvailles avec un vrai bonheur et une réelle gourmandise. Tout le monde se demande quelle sera la prochaine petite invention visuelle ou sonore.

 

Sonore. En effet, si le spectacle repose sur ces surprises (contenu de petites boîtes, apparition de petits personnages, procédés à la fois simples et sidérants de déplacements de figurines…) le son revêtira une importance capitale.

 

Les mots de la conteuse évidemment, qui maîtrise son art de façon sobre et dépouillée, nous plongent en permanence dans cette histoire initiatique. Il est impossible de se détacher de ce qu’elle nous raconte. Elle nous captive doucement mais sûrement, dans une ambiance feutrée et chaleureuse.

Nous sommes véritablement dans une isba, au coin du feu. On pourrait presque sentir les parfums des braises dans l’âtre et des sous-bois environnants.

 

Sons encore avec les chants des oiseaux enregistrés ou que la narratrice produit en direct avec des appeaux.

Elle chante, aussi.  “Une plume par-là, une tête par-ci. Le temps s’envole, attrape la Pie…

 

Musique également avec les sons cristallins du « cloutchiki », cet instrument composé d’une myriade de clous par lesquels passe une bille.

De nouveau, la délicatesse est au rendez-vous, et ce, pour notre plus grand plaisir.

Le temps qui passe est matérialisé de multiples manières, avec une grande intelligence et de judicieux parti-pris, compréhensibles à tout âge.

La fin du spectacle, éclairé à la lumière noire, relève d’une dimension féérique qui n’échappe à personne, surtout pas aux plus jeunes. Des éléments de décor surgissent, comme par magie. La scénographie de Jean Métégnier et Nico Gotro et les lumières d’Emma Atkinson sont de toute beauté.

 

En sortant de la salle on ne peut s’empêcher de se dire que l’on vient de vivre un moment artistique rare, un temps calme et suspendu dans ce douillet cocon de bois que l’on a peine à quitter.

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