3 Juin 2024
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La peur de mon père…
Ainsi donc, ils sont là. Les personnages de la pièce.
Un peu comme dans Les Rois Maudits, tout comme le réalisateur Claude Barma l’avait fait, le metteur en scène Thierry Harcourt nous les présente tous ensemble sur scène, un peu figés, avant que tout ne commence.
Un par un, nous ferons connaissance avec eux.
Mais quelle riche idée de monter Pagnol, cet auteur dont je regrette personnellement la quasi-disparition des œuvres dans les théâtres parisiens !
Pagnol, l’héritier des grands auteurs grecs antiques.
Pagnol, celui qui ose nous montrer le tragique, par le biais des petites gens.
Pagnol qui a adapté pour l’écran en 1946 la nouvelle d’Emile Zola, et qui va nous présenter des personnages ô combien humains et pour la plupart ô combien attachants.
Thierry Harcourt a choisi de travailler à partir des répliques du film, pour en tirer l’essentiel de ce drame qu’il situe volontairement dans les années 70.
Ce n’est en tout cas pas le décor qui nous donnera un indice quant à la transposition temporelle, puisque ce décor se résume à un meuble.
A son habitude (on se souvient de sa très récente et très réussie version des Chaises de Ionesco), le metteur en scène mise sur l’ellipse et la suggestion. C’est à nous autres spectateurs de faire le job, et c’est tant mieux !
La musique de Tazio Caputo, les costumes très réussis de Françoise Berger et Yamna Tison, ainsi que quelques courtes mais très jolies chorégraphies à la Jacques Demy nous donneront d’autres indices.
Et puis les comédiens, bien entendu.
Mis en scène avec une rigueur jamais prise en défaut, et des parti-pris plus judicieux les uns que les autres.
Ici, chacun va tout d’abord mettre en lumière la sublime langue pagnolesque, une langue apparemment simple, vraie, aux formules à la fois acérées et drôles.
Une langue qui ne peut que nous toucher, tous autant que nous sommes.
Ici, durant cette heure et dix minutes, on ne peut que se réjouir de retrouver ce formidable accent méridional. Nous retrouvons la gouaille, le verbe haut en couleur, mais aussi le désespoir contenu dans les œuvres plus connues du grand Marcel.
Ce qui va primer dans cette entreprise artistique, c’est la magnifique restitution de notre humanité, par le biais de celle des personnages principaux, une humanité contenue dans cette belle et intense histoire d’amour.
Des personnages inoubliables nous donnent des leçons de vie, des leçons d’existence, avec parfois la notion de l’abnégation et du sacrifice.
Une comédienne et deux comédiens vont purement et simplement nous enchanter, dans des rôles qui sont tout sauf évidents.
Thierry Harcourt a particulièrement travaillé les scènes de duo, parfois symétriques, parfois en opposition. C’est dans c’est duos que nous mesurons tout leur talent.
Arthur Cachia reprend avec une puissance et une intensité jamais démenties le rôle de Fernandel.
Son bossu de Toine, s’il nous amuse, s’il nous fait rire par son auto-dérision, ce Toine-là nous émeut énormément.
Dans une magnifique et déchirante tirade, le comédien nous parle de sacrifice, cette notion évoquée un peu plus haut.
Il est alors formidable !
Arthur Cachia incarne pleinement le type de héros pagnolesque, atteint d’une difformité, mais au cœur gros comme un mas de Provence.
Il serait donc très réducteur de cantonner son interprétation à sa performance physique mise en œuvre pour camper le handicap de Toine.
Naïs, c’est Marie Wauquier.
La comédienne est elle aussi remarquable. D’une justesse jamais prise en défaut, Melle Wauquier va nous démontrer l’étendue de sa palette.
Tout à tour ingénue, amoureuse, effrayée, terrorisée même par son père, elle fait de son personnage une jeune femme terriblement attachante. On croit tout à fait à ce qu’elle nous raconte et nous montre, et l’on ne peut que se prendre de passion et de compassion pour sa Naïs.
Et puis, il y a la figure du père.
Violent, possessif, voulant s’accaparer sa fille.
Ce père-là, c’est l’excellent Patrick Zard’ qui se charge d’en donner une très impressionnante vision.
Il en fait un homme probablement brisé naguère par la mort de son épouse, un homme rustre aux méthodes pour le moins extrêmes.
Je défie quiconque de ne pas frissonner lors d’une de ses scènes. Seul face à un projecteur, le comédien nous glace véritablement.
Le reste de la petite troupe est à l’avenant, avec notamment l’épatante Lydie Tison, la mère de Frédéric, campé quant à lui par Kevin Coquard.
Vous l’aurez compris, c’est une magistrale leçon de théâtre qui vous attend.
Thierry Harcourt et la Compagnie des Fautes de Frappe rendent pleine et entière justice à Pagnol, dans cette passionnante ode à l’humanité et à la vie.
Il faut absolument aller au Lucernaire (vous avez jusqu’au 30 juin) découvrir cette totale réussite.
En juillet, le spectacle sera donné au festival d’Avignon, au Théâtre de la condition des Soies.
Incontournable !