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M comme Médée

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Je dis M !
Je dis quatre M !
Je dis une infinité de M !

Toutes les femmes seraient-elles des Médée en puissance, toutes nos sœurs, mères, cousines ou nièces pourraient-elles, poussées par le désespoir amoureux, passer à l'acte et commettre l’irréparable ?

Avec cette remarquable relecture chorale de ce mythe relatant le plus abominable crime aux yeux des Grecs, à savoir l’infanticide, la dramaturge et metteure en scène Astrid Bayiha nous affirme le postulat ci-dessus.
Et sa démonstration va se révéler à la fois imparable et ô combien efficace !

J’ai assisté à un magnifique spectacle, très abouti et très maîtrisé, dans une scénographie simple mais très signifiante dans un minimalisme qui prouve qu’on n’a pas forcément besoin de moyens démesurés pour atteindre son but.

Des voiles. Celles de ce navire, l’Argo, qui jeta Jason sur les côtes de Colchide à la recherche de la fameuse Toison d’or.
La rencontre avec Médée. Un amour passionnel, duquel naîtront Merméros et Phérès.
Répudiée par ce même Jason, Médée et sa folie vengeresse n’auront aucune limite : comme on le sait, elle égorgera les deux fils qu’elle a eu de lui.

Le voici ce mythe.
L’amour conduisant à la mort. Eros et puis Thanatos.

Astrid Bayiha a eu une première excellente idée, celle de s’emparer à bras le corps non pas d’une version de la tragédie, mais bien de plusieurs textes différents, d’Euripide à Heiner Müller, en passant par Corneille, Jean-René Lemoine, Dea Loher, Jean Anouilh, ou encore Sara Stridberg.

La metteure en scène, tout en respectant à la lettre la chronologie de cette histoire, a concocté un réjouissant mix de ces sept auteurs.
Le spectacle sera donc le réceptacle de ces sept visions du mythe pour aboutir à une seule histoire.
Cette prise de risque, appelons un chat un chat, fonctionne à la perfection.
Ici, nous savons exactement à tout moment où nous en sommes, nous suivons parfaitement les tenants et les aboutissants du drame.
Une traversée d’un destin par la traversée de plusieurs représentations littéraires et dramaturgiques de cette femme.

La deuxième excellente idée, c’est la relecture chorale de cette histoire.
En effet, sur le plateau, nous aurons face à nous plusieurs Médée et plusieurs Jason.
Là encore le procédé va fonctionner à merveille.

Il règne en  outre sur le plateau une belle dimension multi-culturelle, de par les origines variées des comédiennes et des comédiens.
Comme elle est réjouissante, par les temps qui courent, cette diversité-là !

Plusieurs Médée, donc, interprétées par la comédienne libano-brésilienne Fernanda Barth, la lyonnaise Jann Beaudry (qui m’a fait penser à Shakira, avec ses longs cheveux blonds et son athéba tressée sur le côté) ainsi que la martiniquaise Daniely Francisque.

Les trois comédiennes sont toutes les trois impressionnantes, revêtues de costumes différents, mais de la même couleur turquoise.
Il se dégage de leur jeu respectif une force, un engagement total, une maîtrise parfaite des différents auteurs, tout ceci forçant le respect.
Le parti-pris de leur geste récurent pouvant faire pense à un bras d’honneur, ce parti-pris est épatant !

Deux Jason, donc, Josué Ndofusu et Valentin de Carbonières.
Eux aussi ne sont pas en reste, incarnant l’homme avec un h minuscule, l’homme qui trahit, l’homme qui rompt son vœu amoureux, l’homme qui en reniant sa compagne, se renie lui-même.

J’ai assisté hier à l’une des plus belles scènes depuis cette rentrée de septembre.
Valentin de Carbonières, dans son personnage de Jason repoussant de mauvaise foi, répugnant de fourberie, et Daniely Francisque lui rétorquant ses arguments ô combien compréhensibles, ces deux comédiens nous donnent une leçon de jeu et d’interprétation.
Une scène magnifique qui restera longtemps dans ma mémoire.

Deux autres personnages complètent la distribution.
Deux êtres d’ocre et d’or vêtus.

Le Coryphée, tout d’abord, interprété de façon intense et très drôle par Nelson-Rafaell Madel.
C’est lui qui commente, analyse, démontre ce qui se passe ou s’est passé.
Ses interventions, toujours très attendues, déclenchent souvent les rires dans la salle.
Sa présence impressionne également, et nous sommes tous suspendus à ses dires.

Et puis, un dernier personnage.
Médée !
Oui, elle est quatre, au final, Médée !

Comme une icône, une image un peu hiératique de cette femme maudite.
C’est la chanteuse, autrice et compositrice Swela Emati, dans une apparence proche de celle de Fatoumata Diawara qui l'interprète avec une magnifique grâce.

En effet, la musique et le chant jouent un rôle primordial dans ce spectacle.
La voix qui chante, et qui, dans de belles complaintes et mélopées tristes, vient souligner mélodiquement le drame qui se joue devant nous.
C’est l’occasion d’écouter les belles langues que sont le brésilien ou encore le créole.
Le dernier chant, profond, grave, interprété dans un dernier chœur bouleversant, reste longtemps dans les esprits, bien après la sortie de la salle.

Astrid Bayiha nous embarque donc de façon à la fois violente et délicate dans sa passionnante vision du mythe et nous fait vibrer, nous fait frissonner, nous fait rire aussi, avec beaucoup d’à-propos et de parti-pris tous plus judicieux les uns que les autres.

Ceux qui assisteront à ce spectacle tant réussi sur le forme que sur le fond ne sont pas près d’oublier cette approche multiple de cette femme qui a inspiré tant d’écrits.
Il faut absolument aller à la Tempête découvrir et retrouver ces Médée !

© photo Y.P. -

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