12 Septembre 2023
Comme tu me vois.
Une histoire de singulier regard, une histoire de regards pluriels.
Le sous-titre de la pièce est on ne peut plus explicite : « Récits d’une grossophobie ordinaire ».
Lorsque dans quelques siècles, des sociologues voudront se pencher sur cette forme de racisme, appelons un chat un chat, un racisme à l’encontre de personnes en surpoids, ou à l’encontre de personnes obèses, ils et elles n’auront qu’à lire ce texte remarquable, composé d’une vingtaine de récits, un texte écrit à six mains.
Marielle Toulze est sémioticienne à l’université de Saint-Etienne, et travaille sur les représentations des corps dans les médias. Elle a réalisé une opération de l’obésité voici quelque dix années.
Arnaud Alessandrin est sociologue, intervenant sur des questions de genre, de santé et de discriminations.
Grégori Miège est comédien de son état. A la suite d’une perte de poids très conséquente, il a souhaité et pu s’investir sur ce qui avait influé sur sa construction personnelle, l’obésité.
On l’aura compris, les trois auteurs ont « mis à profit » leurs compétences et surtout leur implication et leur vécu personnel pour écrire un remarquable et passionnant texte doté d’un vrai et très intense propos dramaturgique.
Ces récits, s’ils sont révélateurs de problèmes inhérents à cette grossophobie, ces récits sont destinés à être portés avec force sur un plateau.
Tout commence avec des données numériques.
Implacables.
Des statistiques concernant la population mondiale en surpoids et en situation d’obésité, et des chiffres concernant cette population.
Ici, de manière à la fois subtile et très habile, les auteurs nous évoquent en guise d’introduction les tenants et les aboutissants du problème.
Avec une donnée finale qui montre le terrible regard porté par la société sur ces personnes.
Je vous laisse découvrir.
Arrivent ensuite des témoignages en tous genres.
Avec bien souvent, voire en permanence, l’expression d’une douleur.
Et nous de comprendre ces regards portés sur ces personnes qui souffrent, et qui le plus souvent se sentent rejetées, méprisées….
Souvent, c’est « Je » qui parle, c’est une narration à la première personne du singulier, qui nous dit, nous décrit, nous raconte non seulement des faits, mais des ressentis, des images intérieures, des témoignages.
Avec nombre d’anaphores, comme pour bien enfoncer le clou, pour mieux nous dire la souffrance que l’on vit, qui est infligée, et parfois que l’on s’inflige.
L’écriture est vive, précise, acérée même, parfois âpre, parfois réduite à des phrases très courtes, très intenses.
On sent une urgence de tous les instants, on ressent en permanence le mot « ordinaire » du sous-titre : la grossophobie est permanente et souvent « décomplexée ».
Nous seront évoqués d’autres témoignages.
Une des séquences évoque le rapport à un médecin, qui ne prend en compte que la notion purement et simplement clinique de la maladie, laissant sur le carreau le patient, qui attend autre chose.
Un autre et terrible témoignage : celui d’une fille, au sein de sa famille, qui l’accable, lui reprochant d’être grosse, à l’inverse de sa sœur.
Une nutritionniste, très culpabilisante...
Nous entendrons des corps témoigner, également, des corps qui parlent, qui se parlent, qui nous parlent.
Des jugements, des refus de jugements, des désirs, des refus de désirs, seront aussi exprimés.
Il se dégage de tout ceci une impression de vérité omniprésente et douloureuse.
Une vérité sociologique et à la fois poétique. Car oui, se dégage parfois une poésie de la souffrance, dans des scènes d’une grande intensité.
La douleur…
Lorsque l’on n’est pas confronté à ce problème, on est loin d’imaginer la souffrance qui en découle. Ce fut mon cas.
A la fin de la lecture de cette pièce, on a le sentiment d’avoir fait un gigantesque pas en avant.
Un pas qui fait comprendre. Mieux comprendre. Mieux appréhender toute l’étendue de la problématique.
Et ce, sans pathos de mauvais aloi, sans mièvrerie, sans condescendances ni indécente pitié.
J’attends avec impatience de découvrir ce texte prendre vie sur un plateau de théâtre.
Il y a là une vraie matière à un grand succès.