12 Mai 2023
Après Awé, ce serait donc Wavé ?
C’est peu de dire qu’il était attendu au tournant, Samy Thiébault, après le succès à la fois critique et surtout public de son dernier album en date intitulé Awé !
Rendez-vous compte : cet ensemble de musique métissée, créolisée, foisonnante et passionnante, a figuré parmi les vingt albums les plus écoutés sur Deezer en 2022, catégorie jazz !
Importante pression donc, sur les épaules de ce saxophoniste ténor qui fêtait hier son anniversaire au Bal Blomet, pour un concert présentant de nouvelles compositions.
Des nouveaux titres inspirés par une autre grande passion du musicien : le surf.
Le prochain album s’intitulera In Waves. Logique.
Ce concert est assez spécial pour le saxophoniste : c’est la première fois qu’il se produit en quartet.
Pour autant, les trois sidemen qui jouent avec lui (jamais je n’utiliserai le verbe « accompagner »…) sont des complices de longue date : Arnaud Dolmen à la batterie, Felipe Cabrera à la contrebasse et Léonardo Montana au piano et claviers, tous bien connus des fidèles lecteurs de ce site.
Vêtu d’une magnifique longue veste écarlate et matelassée, il monte sur scène avec son ténor à la main.
Les quatre musiciens commencent avec une délicate ritournelle a capella.
Puis, un sample oriental monte des enceintes acoustiques : Le pianiste a déclenché une pièce musicale jouée à l’oud.
Le rythme et la pulsation intenses se mettent alors en place. La braise qui chauffe les corps et les esprits !
Et nous de comprendre immédiatement que nous allons assister à un grand concert.
Dès les premières mesures de ce premier titre, Rituals, se dégage toujours cette impression de métissage, de «créolité » pour reprendre le terme qui sera utilisé par le leader du groupe pour définir ce passionnant mélange musical.
La cohérence avec Awé ! est d’ores et déjà manifeste, bien que ce premier titre possède sa propre couleur musicale.
Le mélange, donc, ce qui fait que l’on peut vivre ensemble.
L’oud et le chant polynésien… Le Maroc et les îles de l’Océanie.
Ces paroles de Rituals sont inspirées d’un chant de ces îles, qui marque le passage à l’âge adulte, avec pour épreuve la maîtrise de la vague.
Le thème du morceau est quant à lui d’influence plutôt orientale.
Les premiers soli emportent immédiatement l’adhésion.
Samy Thiébault est décidément l’un des plus importants représentants français du sax ténor, voire européens. Je l’écris comme je le pense.
Son jeu, à la fois technique et sensible, montre une virtuosité qui jamais pour autant ne cède à un quelconque désagréable côté «démonstration ».
(Il nous ravira également plus tard avec une grande qualité de jeu au saxophone soprano et à la flûte traversière.)
Arnaud Dolmen quant à lui nous rappelle d’emblée, s’il en était encore besoin, combien sa victoire de la musique en 2022 était méritée ! Nous retrouvons pour notre plus grand plaisir ce subtil mélange (là encore) de technique jazz et gwoka, la musique guadeloupéenne que l’on joue avec le ka, le tambour local.
Voici venir un deuxième morceau, immédiatement reconnu par la plupart des aficionados présents dans la salle : c’est Bailando.
Une version formidable de ferveur, de joie, d’envie de jouer ensemble. Les spectateurs tapent dans les mains, reprennent le leit-motiv.
Ca joue, ça groove, ça pulse. Le Bal Blomet vibre.
Les autres titres vont s’enchaîner. Nous allons nous aussi prendre la vague, nous allons ressentir par le biais de ce jazz luxuriant l’océan, l’eau, mais nous serons également confrontés grâce notamment aux morceaux Horizons et Devenirs à la méditation, à la sérénité nécessaires à cet art de vivre, à cette philosophie qu’est aussi le surf.
Ici, règne un sentiment de plénitude, de contemplation, avec des thèmes très riches, très harmoniques et mélodiques, empruntés à diverses cultures.
Un calme agité, une frénésie tranquille seront alors de mise, comme une délicieuse ambivalence.
Felipe Cabrera entame un hallucinant solo, avec des glissandi sidérants, descendant du haut en bas de la touche et s’arrêtant toutefois un infime moment sur quatre notes successives. C’est stupéfiant ! C’est magnifique ! Quel virtuose, lui aussi !
Leonardo Montana quant à lui illustrera souvent ce thème de l’eau avec de grandes envolées sur toute l’étendue de son clavier.
Il développe pour ce concert sa technique pianistique très sud-américaine, basée sur des placages d’accords répétés légèrement dissonants, entrecoupés de grands moments lyriques.
Le pianiste fait preuve lui aussi d’une grande sensibilité artistique, ses riches contrepoints, ses improvisations, ses constructions harmoniques sont épatants.
Le morceau In Waves suivra, inspiré par le roman graphique éponyme.
Le thème chanté est doublé par le pianiste avec un son un peu métallique issu d’un clavier numérique.
Les autres titres, comme notamment Au bout du vent, continuent à nous ravir. On ne peut qu’être embarqué par ce jazz contemporain original, prenant, qui nous raconte une véritable passion.
Les indications que nous donne le saxophoniste avant chaque morceau sont particulièrement intéressantes. Il insistera beaucoup sur le vivre-ensemble, sur le fait d’être embarqué « sur le même canoë ».
Bien entendu, comment ne pas terminer le concert avec le "tube" Awé !, réarrangé pour l'occasion, toujours repris et scandé par le public !
Les quatre musiciens entameront dans les semaines à venir une importante tournée en Océanie, justement, où ils peaufineront les arrangements des nouvelles compositions.
Et puis ce sera l’enregistrement de l’album.
Il faudra donc attendre encore un moment pour retrouver sur vinyle, CD ou streaming, l’ambiance de ce concert mémorable.
Comment ne pas sortir hier du Bal Blomet enthousiasmé une nouvelle fois par le jazz de Samy Thiébault ?
Le Bal Blomet - Cabaret d'art et club de jazz à Paris (15ème)
Le Bal Blomet est un cabaret historique du Montparnasse des Années folles. Il programme des concerts de jazz et de classique, des spectacles musicaux et des conférences culturelles. Un temps mena...