14 Mai 2023
Yann Frisch existe, je ne l’ai pas vu.
Yann Frisch n’existe pas, je l’ai rencontré.
Et surtout pas dans son camion-théâtre, installé pour l’occasion sur la place aux Lions de La Villette.
Pour ce nouveau spectacle, Yann Frisch nous pose une question fondamentale : au fond, que fait vraiment un comédien de théâtre, joue-t-il ce qu’on lui dit de jouer, ou bien est-il lui même, sur un plateau ou une scène ?
Il y a là pour cet artiste unique en son genre, illusionniste, comédien, humoriste, acrobate, prestidigitateur une thématique passionnante à explorer.
Lui, il traduit la célèbre réplique Shakespearienne, être ou ne pas être, par un titre formidable : Personne.
Personne, nf : un être humain
Personne, pronom : aucun être humain.
Je crois que ce sera le plus beau titre de cette saison théâtrale. Un double sens qui colle à ce spectacle à la perfection.
C’est exactement ce qui va se passer sur le plateau-benne de ce camion..
Nous allons être déstabilisés durant une heure dix.
Nous allons douter en permanence.
Nous n’allons pas croire ce que nous voyons, nous ne pourrons pas expliquer ce qu’il nous semble avoir vu et compris.
Ce qui se joue devant nous (mais est-ce vraiment devant nous…) relève d’un endroit qui serait situé à la frontière de ce qui est explicable et de ce qui relève de l’inexpliqué.
La tentation est grande pour moi d’essayer de vous décrire ce que j’ai cru voir. Bien entendu, je m’en garderai bien, pour vous ménager l’effet de surprise, parfois l’effroi.
Je dois vous avouer que je tremblais en sortant de ce spectacle. Des frissons, tellement j’étais déstabilisé.
Là où ce garçon est unique, c’est dans sa manière de présenter son art.
Comédien accompli, il va notamment incarner avec un humour ravageur un personnage très haut, mais alors très haut en couleurs.
Un type qui exerce un métier que tout les amateurs de théâtre connaissent.
C’est bien simple, je hurlais de rire à la voir, derrière son masque (merci Carole Allemand et Laurent Huet), gesticuler, nous apostropher, avec une gestuelle hallucinante, vitupérant, nous provoquant, et puis surtout, surtout, choisissant une spectatrice dans l’aimable assistance public.
Ce qui se déroule ensuite relèvera de l’impensable, de l’impossible, et pourtant, pourtant…
C’est stupéfiant, bluffant… Les mots viennent à me manquer.
Et le tout dans un sentiment d’ordre naturel des choses, comme si ce que nous ne pouvons expliquer relevait de la normalité.
La dame va se rasseoir, la salle est pétrifiée. J’étais assis à côté d’elle. Et ma question de fuser : « vous faites partie de la troupe, n’est ce pas ?»… On se doute de la réponse négative que confirme son mari...
M. Frisch rêve. Nous aussi.
Et lui de se lancer dans une vertigineuse mise en abyme de ce phénomène de disposition de l’esprit.
Rêvons-nous, ou notre réalité est-elle un rêve ?
La façon dont il étaye sa démonstration est sensationnelle et elle aussi bluffante.
Tout comme les séquences suivantes, et notamment celle où une créature que nous avons définie tous ensemble se présente dans la salle, et se met à….. Non, n’insistez pas.
Nous sommes en présence d'un aboutissement phénoménal dans l'art de la métamorphose !
Et puis, bien entendu, au bout de cette heure, le garçon boucle la boucle.
Il faut dire que je n’ai jamais vu un spectacle de la sorte. Là encore, c’est sidérant !
Après les saluts, il reviendra nous lire quelques lignes de Borges consacrées à Shakespeare et à cet étrange métier qu’est celui de comédien.
Et puis, sans demander son reste, il disparaîtra. Il disparaîtra ? Oui, devant nos yeux... Le plus naturellement du monde...
Nous ressortons de son camion complètement sonnés, abasourdis, un peu effrayés même, par ce que nous avons ressenti durant cette heure à nulle autre pareille.
Et si nous avions rêvé, durant tout ce temps ?
Ne manquez surtout pas ce spectacle extra-ordinaire et hors du commun ! Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas !
Yann Frisch - programmation - Le Monfort théâtre
Bas les masques. Après Le Paradoxe de Georges, Yann Frisch revient avec sa dernière création dans son camion-théâtre. À partir de la citation d'Oscar Wilde - " Un masque raconte beaucoup plus...