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Breaking the Waves

© Photo Y.P. -

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Skye ! My husband !

L’île de Skye. Ecosse septentrionale…
Une terre austère, difficile, battue par les vents et la mer souvent déchaînée.
D’autant plus austère, qu’une communauté y est implantée, composée de religieux intégristes, qui, entre autres dogmes, proposent celui-ci : « Femmes, soumettez-vous à vos époux ! ». Sympathiques, non ?

Au sein de cette communauté, Bess McNeill va convoler en très justes noces avec Jan Nyman, technicien en poste sur une plate-forme pétrolière.

Voici donc posé le cadre du livret de cet opéra, qui évidemment est tiré du film éponyme de Lars Von Trier.

Louis Langrée, le patron des lieux, le Directeur de l’Opéra Comique, nous annonce d’emblée la couleur : nous allons assister à la création française de cette œuvre qui en 2016 a provoqué un véritable choc et et engouement mondiaux, à tel point qu’aujourd’hui, ce ne sont pas moins de neuf productions qui tournent dans le monde entier.
Il en profite pour remercier la compositrice Missy Mazzoli, présente dans la salle pour cette création, tout comme le librettiste Royce Vavrek, d’ailleurs.

Oui, un choc.
C’est exactement ce qui nous attend, salle Favart.
Un merveilleux coup de poing artistique, visuel et musical.
Dans une remarquable intensité de tous les instants, dans une austérité magnifique, dans une atmosphère lourde mais toujours justifiée, nous allons assister à deux heures et quarante cinq minutes bouleversantes et passionnantes.

Une fois les lumières de la salle éteintes, une fois les excellents musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris accordés, une nappe synthétique sourde et angoissante monte.
Mathieu Romano gagne son pupitre de chef d’orchestre, et enchaîne aussitôt avec les premières notes sombres et admirables de la partition.
Il sera beaucoup applaudi au début du deuxième acte, juste après l’entracte.
Il a su tirer le meilleur de cette admirable formation musicale, et est parvenu à restituer pleinement le caractère sombre et angoissant de la partition.

Sur scène, un décor magnifique et imposant.
De grandes colonnes symétriques à section carrée de taille croissante sont installées sur une imposante tournette.
Derrière, des éléments de bois sur plusieurs niveaux rappelant du mobilier liturgique.

Sur ces colonnes parallèles vont être projetées avec une précision hallucinante des images de granit, de pierre, de mer hostile, également.
C’est purement et simplement magnifique.
Nous verrons également les éléments métalliques de la plate-forme, et la coque de l'horrible bateau rouge.

Ces images vidéo, dues à Will Duke, sont travaillées numériquement, nous procurant une impression de relief sidérante.
Je ne peux que répéter : c’est magnifique.
Tout au long de l’œuvre, une armée de régisseurs s’active de façon invisible derrière la tournette pour préparer à chaque fois le prochain décor apparaissant devant nous.
Là encore, tout ceci est millimétré.

Le metteur en scène Tom Morris a vraiment travaillé dans la dentelle !
De plus, sa direction d’acteurs, de chanteurs va se révéler elle aussi d’une précision absolue.
Il a s’est montré très exigeant. Et il a eu raison.
Ici, l’ellipse n’est pas de mise. Il appelle un chat un chat, mais le propos le justifie.

Il s’agit d’une descente aux enfers, de la part d’une jeune femme à qui son homme paralysé lui demande de se donner à d’autres hommes.
Elle va s’exécuter, se sacrifier, allant jusqu’à perdre tout sentiment d’amour-propre, se laissant abuser, violer, violenter à l’extrême outrance.

La remarquable soprano californienne Sydney Mancasola va incarner cette jeune femme avec un engagement total, et une totale abnégation. Les scènes de nudité et de violence seront complètement justifiées.
Mademoiselle Mancasola va enchanter nos oreilles. Purement et simplement.
Elle s’est emparée de la partition, difficile et exigeante, avec un vrai bonheur.
Son timbre remarquable, ses nuances subtiles, sa formidable capacité à jouer ce personnage forcent l’admiration.
Elle chantera dans bien des positions autres que celle habituelle, debout, elle se verra bousculée, menacée, malmenée, enchaînée.

Elle est bouleversante !
Une véritable ovation la saluera, dans un enthousiasme partagé par toute la salle.
Ce rôle rester marquant, dans le souvenir de la saison 22/23.

Le reste de la distribution est à l’avenant, avec des notamment le baryton Jarrett Ott, dans le rôle de Jan.
Le chanteur en impose, dans ce rôle lui aussi difficile.
On croit tout à fait à ce couple « maudit », celui qui ordonne, celle qui s’exécute pour sa perte inéluctable.

Wallis Giunta est une Dodo pleine de compassion, Susan Bullock campe avec une vraie présence la mère de Bess, et Elgan Llyr Thomas incarne le Dr Richardson.
La force lyrique des trois impose également le respect.
Vous l’aurez compris, cette distribution est d’une vraie et belle cohérence.
Je n'aurai garde de mentionner le cœur masculin Aedes qui en impose, avec ces airs austères, parfois magnifiquement lugubres.

Il me reste à vous avertir : le propos dur, sombre, violent, impose des images très fortes, pouvant choquer ou en tout cas interpeller.
Ici, cependant, rien n’est gratuit : tout ce qui nous est montré repose sur une fondamentale nécessité.

Ovation finale donc, pour cette création française d’un opéra qui ne peut laisser personne indifférent.
J’ai personnellement été bouleversé !
Oui, je pourrai dire : « J’y étais ! »

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