5 Mars 2023
Ca eût payé ! Ca paye plus !
Ce sont ces femmes italiennes, pauvres, affamées, ne pouvant plus du tout joindre les deux bouts, qui décident justement de ne plus payer les marchandises de leur supermarché habituel.
Elle sont sous-payées ? Elles ne paieront donc plus.
S’en suit une gigantesque razzia de produits divers et variés, dans une sorte de revanche anti-capitaliste, anti-patronat, anti-exploiteurs du peuple.
L’une d’entre elles va même cacher sous son manteau un filet rempli de denrées dérobées, à tel point qu’on pourrait la croire prête à accoucher.
Voici le point de départ de cette pièce de Dario Fo (prix Nobel de littérature en 1997) et sa femme Franca Rame, une pièce écrite en 1974, puis remaniée en 2008, lors de la crise des subprimes.
Le dramaturge italien et son épouse nous plongent ainsi dans une très féroce satire politique qui nous dépeint une forme de réponse prolétarienne certes radicale, mais ô combien efficace à une violente crise sociale secouant le pays.
Cette satire n’épargnera personne, dans un contexte politique et social italien très compliqué : Fo tire à boulets très rouges sur le monde capitaliste, donc, mais également sur la gauche sociale-démocrate, les syndicats en perte de vitesse ou encore sur la police en tant qu’instrument du pouvoir en place.
Bernard Levy, dont je garde encore en mémoire sa magnifique mise en scène des Chaises, de Ionesco, a décidé de prendre ce texte à bras le corps pour en faire une remarquable farce on ne peut plus burlesque, mettant en œuvre un comique de situation le plus débridé et hilarant.
Oui, pendant ces deux heures que dure le spectacle, j’ai plusieurs fois pleuré de rire. Oui, vous avez bien lu : pleuré de rire !
Ici, de multiples références vont émailler la pièce : impossible de ne pas penser à l’équipe du Splendid de la grande époque, à Tex Avery, à Louis de Funès, à Laurel et Hardy ou encore à Roberto Benigni. Sans oublier des passages dignes de la Comedia del’Arte.
Le plus remarquable dans cette entreprise délirante, c’est que le message politique n’est jamais oublié.
Oui, nous allons énormément rire, certes, mais pour mieux nous imprégner de la détresse de ces femmes, mais aussi d’une certaine lâcheté et d'un vrai fatalisme de la part de leur mari.
Nous pénétrons dans la salle Serreau de la Tempête, et immédiatement, il nous est impossible de ne pas remarquer la magnifique scénographie de Damien Caille-Perret, digne d’une construction de Numérobis, l’architecte de Cléôpatre dans l’album d’Astérix et Obélix.
Une scénographie qui va nous réserver bien des surprises… Mais vous le savez, ici, on ne spoile pas !
Et puis la petite troupe va entrer en scène, en commençant par les deux héroïnes de la pièce, juste après une course-poursuite digne du Bip-Bip de Chuck Jones.
Tous durant ces deux heures vont s’en donner à cœur joie, pour nos plus grands bonheur et plaisir.
Nous n’en finissons plus d’être abasourdis et enthousiasmés par les ressorts comiques mis en œuvre par les six comédiennes et comédiens tous dotés d’une phénoménale vis comica, tous portés par la très belle et très actuelle traduction et adaptation de Toni Cecchinato et Nicole Colchat.
Sans aucun temps mort, avec une précision millimétrée et un rythme souvent survolté, Bernard Levy les dirige avec une réelle maestria.
Les deux couples symétriques de la pièce sont incarnés par un quatuor hilarant.
Le couple de personnages d’âge mur est interprété par les désopilants Anne-Elodie Sorlin, qui m’a fait penser à l’immense Jacqueline Maillan pouvant jouer avec une intensité totale des situations à l’humour quasi-surréaliste et Eddie Chignara, dans le rôle de son mari, crédule à souhait, digne d’un héros de Benigni… (Sa scène des olives est purement et simplement énorme, ses adresses et ses appartés au public sont merveilleuses !)
Les jeunes mariés ne sont pas en reste.
Flore Babled incarne Margherita. La comédienne est elle aussi formidable dans le rôle de cette fille un peu simplette. La comédienne a abordé le rôle avec un mélange de Thérèse et de Zézette, du Père-Noël est une ordure. Oui, j’ai pensé à Anémone et Anne-Marie Chazel.
Mademoiselle Babled est souvent prodigieuse.
Grégoire Lagrange est son jeune mari. Lui non plus ne donne pas sa part au chat.
Avec Eddie Chignara et lui, on a inévitablement en tête des séquences dignes des comédies de Laurel et Hardy.
Et puis Jean-Philippe Salério nous fait lui aussi hurler de rire en policier, gendarme, croque-mort ou vieil homme.
Comment ne pas se souvenir du grand De Funès dans ses rôles eux aussi survoltés ? Il est lui aussi phénoménal.
Je défie quiconque de résister au fonctionnement effréné de ses zygomatiques dans notamment deux scènes, l’une de massage cardiaque, l’autre de respiration artificielle !
Elie Chapus interprétera de façon muette, comme dans les slapsticks, les personnages certes secondaires mais nécessaires à l’action.
Mais voici que la fin du spectacle arrive, qui nous fait bien comprendre que si nous avons beaucoup ri, c’est pour mieux prendre en compte la dimension dramatique des personnages, « sous-prolétaires » à la fois dignes et combatifs à leur manière, confrontés à une impitoyable lutte des classes. Un hommage aux anonymes qui refusent le joug...
Le message, ô combien actuel, passe de manière limpide.
Une véritable ovation des plus méritées, ô combien sonore et sincère, accueillera les comédiens. Beaucoup de spectateurs se lèvent, les « bravo ! » fusent !
Ne manquez sous aucun prétexte ce spectacle incontournable de cette fin d’hiver !
Ou quand l’humour et les gags les plus débridés servent un propos politique et social de manière brillante et totalement maîtrisée.
Courez à la Tempête toutes affaires cessantes !
Quant aux spectateurs amateurs de soupe de millet pour canaris préparée à base de court-bouillon de têtes de lapin, ceux-là se régaleront !
On ne paie pas ! On ne paie pas !
Un titre slogan. Des femmes affamées et en colère devant la flambée des prix. Antonia, elle, refuse même de passer à la caisse du supermarché. Elle rafle tout ce qui passe, du millet pour can...
https://www.la-tempete.fr/saison/2022-2023/spectacles/on-ne-paie-pas-on-ne-paie-pas-680