19 Février 2023
Comme un oiseau…
Si l’on a vu ces dernières années plusieurs versions réussissant tout en « bousculant » Tchekhov à mettre en œuvre une relecture très intéressante de cette Mouette (je pense notamment à Thomas Ostermeir ou à Cyril Teste), Brigitte Jaques-Wajeman quant à elle nous propose une vision à la fois lumineuse, sensible et très fidèle au texte originel.
Le texte ! Et toutes ses subtilités.
Ici, pas d’effets superfétatoires, pas de gadgets, pas de micros inutiles, pas de slips kangourous immaculés.
Le texte, vous dis-je !
Servi au mieux par une troupe de comédiennes et de comédiens tous irréprochables, dirigés de façon précise et millimétrée, ce spectacle intense est de ceux qui magnifient les dialogues et les intentions dramaturgiques de Tchekhov.
Le théâtre dans le théâtre : pas d’équivoque possible. A jardin, la petite scène composée de cent cinquante six billots de bois sur le plateau des Abbesses annonce la couleur dès notre entrée en salle.
Ici, le signifiant est on ne peut plus limpide. Tout comme les chaises et les bancs côté cour.
Ici, tout comme pour les personnages, il sera question de réaffirmer le prépondérance de l’art dans nos vies, l’art qui nourrit nos existences, nos espoirs, nos passions.
L’art et les artistes, tous à la recherche d’une liberté difficile à atteindre, toujours à la merci du premier chasseur venu.
Au lointain, sur un grand écran, la lac de la pièce.
Une projection video colorée qui varie subtilement en fonction des temps linéaire et météorologique qui passent.
Le dispositif, s’il est apparemment « simple », est lui aussi très parlant, et picturalement très réussi.
La mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman repose en particulier sur la prise en compte du corps des personnages tchékhoviens.
Durant ces presque deux heures et trente minutes qui passent à toute allure, un aspect viscéral et organique est souvent présent, comme pour nous dire combien le propos de l’auteur s’adresse également à tout notre être, et non seulement à notre esprit et notre âme.
On ne compte pas dans ce spectacle le nombre de fois où les personnages vont s’étreindre, se prendre dans les bras, se toucher ou se repousser.
A cet égard, je vous conseille durant la pièce de remarquer la grande précision quant aux distances qui séparent on non les personnages qui dialoguent.
A ce propos, deux magnifiques scènes symétriques m’ont enthousiasmé.
La première est une formidable pieta.
La mère Arkadina console son fils blessé Konstantin, elle est assise au sol, lui est allongé la tête reposant sur les genoux maternels.
Nous sommes en pleine mater dolorosa, c’est très beau.
La scène symétrique montrera un peu plus tard dans une position homme-femme inversée le même Konstantin, avec Irina racontant sa vie d’artiste, se comparant à la mouette qu’il a abattue d’un coup de fusil.
Une mouette dorénavant empaillée.
Une troupe irréprochable, donc, en costumes contemporains, comme pour nous rappeler l’universalité du propos tchekhovien. Nous sommes tous ces hommes et ces femmes aux prises avec leurs tourments.
Pauline Bolcatto incarne Nina avec beaucoup de puissance, de force, tout en conférant au personnage une subtile fragilité. La comédienne parvient à donner dans un premier temps un sentiment de fraîcheur innocente à son personnage, pour ensuite beaucoup nous émouvoir dans les épreuves, dans la narration de sa vie d’artiste et son incompréhension du désir de Konstantin.
Konstantin, c’est Raphaël Naasz, lui aussi parfait dans ce rôle de jeune dramaturge « maudit ». Il nous fait parfaitement comprendre le difficile positionnement du personnage entre deux femmes, sa mère d’une part et Nina, deux actrices l’une réputée et reconnue par le milieu, l’autre plutôt « intermittente du spectacle qui rame », si vous me passez l’expression…
De la belle ouvrage.
Raphaëlle Bouchard incarne une grande Irina Arkadina.
Toujours en costumes aux couleurs très vives, la comédienne joue son personnage dans une remarquable exubérance, nous faisant très souvent rire notamment par les exagérations verbales du personnage.
Elle aussi sera bouleversante, notamment dans la scène de cette pieta déjà mentionnée.
Deux qui nous feront sourire également, chacun dans son registre, ce sont Timothée Lepeltier en instituteur à la veste de velours, comme il se doit, Fabien Orcier, dans le rôle du médecin Dorn.
Quant à Bertrand Pazos, c’est l’ambivalent Trigorine, amant d’Arkadina, objet de fascination pour Nina. Le comédien confère une réelle épaisseur à son personnage, le parant d’une sorte de ténébreuse malédiction.
Le reste de la petite troupe est à l’avenant, dans une cohésion et une cohérence de tous les instants.
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les très belles lumières de Nicolas Faucheux, mettant là encore subtilement en valeur décors et comédiens.
Dépêchez-vous donc d’aller assister à ce spectacle totalement maîtrisé et abouti, qui revient aux fondamentaux tchekhoviens.
Il n’est pas si courant qu’une femme s’empare d’un texte du grand Anton.
Brigitte Jaques-Wajeman nous propose une limpide passionnante lecture de La mouette.
Jouer, mettre en scène Tchekhov est une expérience unique. Son théâtre vient toucher en nous quelque chose de très intime, d'extraordinairement subjectif. Il nous fait mesurer comme aucun autr...
https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2022-2023/theatre/la-mouette