11 Décembre 2022
L’horreur est humaine !
La preuve : les ouvreuses, les ouvreurs et le personnel de l’Opéra Comique nous accueillent avec une plante vénéneuse greffée sur la tête !
Si si, c’est comme je vous le dis !
Mais quelle bonne idée ce fut, celle de Maxime Pascal, directeur musical de l’orchestre Le balcon, que de proposer à la direction de la Salle Favart la production de cette comédie musicale qui fit et fait encore les beaux jours de Broadway ! (Ce spectacle qui est une adaptation pour la scène, par le librettiste Howard Ashman et le compositeur "disneyien" Alan Menken, du film tourné en 1960 par Roger Corman. Frank Oz en tira d’ailleurs un remake en 1986.)
Et qui d’autre que ceux qui désormais ont les clefs de la maison, je veux bien entendu parler de l’incontournable couple Valérie Lesort – Christian Hecq, pouvaient porter sur un plateau cette histoire dont le personnage principal est une créature monstrueuse !
Pour sauver la petite boutique du fleuriste Mushnik, Seymour met en valeur une étrange plante.
Las ! Ce terrible végétal, qui se révélera être doué de parole, a besoin de sang humain pour croître et proliférer.
S’en suit donc un pacte très faustien, au fond : notre héros vend son âme à ce monstre hémato-chlorophylien, ce qui causera sa perte, celle de ses proches et sans doute celle de l’humanité dans sa globalité.
Une nouvelle fois, grâce aux deux metteurs en scène sus-nommés, nous allons en prendre plein les yeux et plein les oreilles.
La merveilleuse folie Hecquiste et Lesortienne, toujours admirablement servie par la même équipe de créateurs, va toujours autant nous ravir, nous émerveiller et nous faire rire.
Les deux metteurs en scène déploient toujours autant de talent, d’idées originales, de parti-pris judicieux, d’auto-citations savoureuses, pour nous raconter une histoire, nous montrer et animer des monstres et des personnages décalés, croqués avec cet humour poétique qui est désormais leur marque de fabrique.
Eux font référence au monde de l'enfance en permanence, où l'on peut rire et s'émerveiller de peu, juste grâce à son imagination.
Nous voici au tout début des années 60, dans un quartier d’un ghetto américain.
La belle scénographie de Audrey Vuong nous place devant un décor qu’on pourrait croire tiré d’un tableau d’Edward Hooper. Une sorte de drugstore-Gas station un peu miteux devant lequel courent les rats.
Bien entendu, tous les spectateurs n’ont qu’une seule envie : découvrir cette plante horrifique.
Nous serons gâtés, il y en aura trois, en fonction de sa croissance.
Les marionnettistes s’en donnent à cœur joie pour conférer à ces monstres créés par Carole Allemand des expressions humaines, qu’elles soient drôles ou terrifiantes.
Le comédien Daniel Njo Lobé leur prête sa voix, en coulisse, avec un effet numérique des plus réussis.
Et toujours, au milieu de cette production à gros budget, j’ai retrouvé pour mon plus grand bonheur
ce qui constitue l’une des grandes réussites du duo Lesort-Hecq : cette capacité rare à nous faire rire aux éclats avec trois fois rien. Ou comment l’humour confine à la poésie.
Ici, ce sont un mixeur, une machine à laver, une télévision qui nous procurent ces rires, avec de délicieux petits moments à trois francs six sous qui vont nous faire nous esclaffer.
Une scène de « découpe » est également hilarante. Quelques accessoires, un contre-jour, et le tour est joué.
Bien entendu, vous n’en saurez pas plus, je vous laisse découvrir. La marque de fabrique, vous dis-je...
Maxime Pascal est donc à la tête de l’orchestre Le balcon, réputé pour son éclectisme en matière de répertoire.
La vingtaine de musiciens présents dans la fosse va interpréter la musique d’Alan Menken, dans un arrangement de Arthur Lavandier qui donne une dimension symphonique à l’œuvre, notamment grâce à l’adjonction de pupitres de cordes et de cuivres à l’instrumentarium original.
Bien entendu, cette augmentation des effectifs n’enlève en rien le caractère « minimaliste » et typiquement américain de la partition d’Alan Menken. (Il a d’ailleurs donné son aval à cette orchestration.)
Il faut noter la qualité exceptionnelle du son en façade. Avec les instruments électriques, (guitare, basse…), dans ce registre musical particulier, il faut en effet passer par des micros, y compris pour les chanteurs. Grâce au talent des techniciens sons et les enceintes L-Acoustics, une vraie pâte sonore équilibrée tant dans les basses que dans les aigus est restituée.
La soprano Judith Fa et le baryton Marc dans le rôle d’Audrey et Seymour, le couple vedette, vont remporter très vite la complète adhésion du public.
Elle, on la croirait sortie du film Grease, lui s’est fait la tête de Rick Moranis, son alter go du film de Frank Oz.
Tour à tour drôles, émouvants, voire bouleversants, les deux artistes lyriques s’emparent des airs de Menken avec enthousiasme et virtuosité. Les deux nous enchantent !
Un autre qui ne donne pas sa part au chat, c’est le ténor Damien Bigourdan, qui, dans plusieurs rôles, dont celui d’un dentiste qui est au sadisme ce que la Mort aux rats est à la famille animale des muridés.
Ses entrées sur la scène marquent les esprits !
Lui aussi est hilarant.
Quant au baryton Lionel Peintre, une mèche de cheveux rabattue sur le crâne, il campe un M. Mushnik lui aussi haut en couleurs.
Le chœur est assuré par un trio de jeunes et épatantes chanteuses : Laura Nanou, Anissa Brahmi et Sofia Mountassir (que j’avais déjà beaucoup applaudie dans la comédie musicale Bodyuard) nous proposent ce groupe de pétulantes choristes.
La cohésion vocale, les trois tessitures et là encore la technique vocale irréprochable sont au service d’autres délicieux moments. Leurs transitions sur le plateau sont formidables.
Rémi Boissy a assuré des chorégraphies très réussies, nous plongeant elles aussi dans ces débuts des années 60. Les danseurs, dans les magnifiques costumes de Vanina Sannino, sont eux aussi remarquables. Pléonasme me direz-vous. Certes.)
Au final, ces deux heures, entracte compris, passent beaucoup trop vite !
Vous aussi, ne manquez surtout pas de venir visiter cette petite boutique des horreurs.
C’est la deuxième comédie musicale incontournable (avec Starmania) de cette fin d’année 2022.
Comment ne pas terminer mon papier en reprenant les mêmes mots qu’en novembre 2019 pour le spectacle Ercole amante produit ici même par les mêmes créateurs : tout ceci est brillant, intelligent, malin, spirituel, drôle et beau.
Une nouvelle fois, merci beaucoup, Valérie Lesort et Christian Hecq !
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Ah ! J'allais oublier...
Surtout, ne partez pas tout de suite une fois le rideau tiré. Les musiciens du Balcon vous réservent une jolie surprise !
Petite boutique des horreurs à l'Opéra Comique
Malmené par le fleuriste qui l'emploie, Seymour cultive en secret une plante exotique. Problème : l'étrange végétal est carnivore... Un spectacle déjanté et familial, dans la pure tradition ...
https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/la-petite-boutique-des-horreurs