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La cerisaie

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Où sont les serfs ?
Dans la cerisaie...
Qu'est-ce qu'ils y font ?
Ils la rachètent !

Et en avant le moujik !


Voici quarante-deux ans que le servage a été aboli en Russie, lorsque Tchekhov entreprend d'écrire sa Cerisaie.
La Cerisaie, c'est le beau domaine de Lioubov Andréevna. Après cinq ans passés à Paris suite à la mort de son jeune fils, elle revient à la maison.
Elle retrouve ceux qui l'attendent avec impatience, ses filles, le vieux maître d'hôtel, le précepteur, la dévouée servante...


Et Lopakhine, le marchand.
C'est lui qui, fils et petit fils de serfs du domaine, va rappeler à tout le monde que les valeurs s'inversent.

Tchekhov, en véritable sociologue qu'il est, sait bien que pour pouvoir recouvrer leur liberté, les serfs devaient s'endetter lourdement afin de racheter à leurs maîtres leur parcelle de terre.


Aujourd'hui, c'est ce même Lopakhine qui nous informe que la Cerisaie va être vendue aux enchères, les maîtres étant à leur tour fortement endettés.

Et c'est lui seul qui pourra acquérir la propriété.


La dette...

Dette financière, certes, mais évidemment dette morale...

Des années de servage, d'esclavage, ont laissé des traces indélébiles...


Mais ne nous y trompons pas, le personnage principal de la pièce, et c’est ce qu’a bien compris Clément Hervieu-Léger, le personnage principal, c’est évidemment le domaine, la maison.

Il a eu la très bonne idée de situer l’action qui s’étend sur quelques mois dans un lieu presque unique : la chambre.
Et plus précisément la chambre d’enfants.
(Deux dispositifs scénographiques permettront néanmoins d’élargir le lieu intérieur. Je vous laisse découvrir.)

Le choix de
cette chambre d’enfants n’est pas anodin.
C’est l’endroit
par excellence où les souvenirs vont resurgir. Parce que rien n’a changé, dans cette chambre-là.
Dans la belle scénographie signée Aurélie Maestre, à l’intérieur de cette datcha en bois, nous voyons les petits meubles, un lit de petite taille, une commode miniature. Nous retrouvons les jouets eux aussi en bois qui n’ont toujours pas été remisés au grenier.

On pourrait presque encore sentir le parfum du chocolat brûlant ou des gâteaux à la crème fouettée.

C’est dans cette chambre que tout le monde se retrouve, dès l’arrivée au domaine.
C’est là où le passé peut revivre.


Le passé et ses souvenirs.
Autre thème très présent dans cette ultime pièce du dramaturge russe.


Le metteur en scène, qui, nous dit-il, porte cette pièce en lui depuis très longtemps, affectionne ce théâtre de souvenirs. Ses choix artistiques passés le prouvent amplement.

Une autre réussite scénographique, c’est d’avoir permis au décor d’évoluer imperceptiblement, durant ces deux heures que dure la pièce.
Tout doucement, l’espace scénique va se réduire,
tout comme se réduit l’ancien modèle social.

Aux murs, les tableaux vont progressivement disparaître : eux aussi, témoins du passé, seront décrochés pour laisser la place à de nouvelles pages d’écritures sociales et historiques.

La troupe des Comédiens français, à son habitude, est irréprochable.

Clément Hervieu-Léger les dirige de manière précise, peut-être
parfois un peu trop sage, même.
Il sait bien en tout cas que l’auteur, habitué du mélange des genres ou plutôt habitué à ne pas afficher clairement un genre en particulier, a précisé que cette pièce était aussi une comédie.

Nous rions, donc, à certains moments.
Les chutes de Sébastien Pouderoux, les interventions de Véronique Vella (qui chantera, une nouvelle fois pour notre plus grand plaisir), les tirades un peu désabusées ou désenchantées de Florence Viala, les ruptures de Loïc Corbery, les envolées de Nicolas Lormeau nous amusent
beaucoup.

Les comédiens nous émeuvent également dans cette pièce qui raconte le départ forcé d’une propriété, mais aussi qui nous dit l’irrémédiable fin d’une société.
Un long dialogue entre Jérémy Lopez et Melle Viala relève de cette veine faite de délicatesse et de sensibilité.

Et puis Michel Favory campe admirablement un Firs plein de sollicitude pour ses maîtres.
Il nous montre parfaitement ce personnage de domestique encore attaché à l’ordre ancien.


C'est lui qui restera sur le plateau, serviteur oublié de tous.
Le symbole de la fin d'un monde qui se meurt.


J’ai beaucoup aimé également le travail sur le son de Jean-Luc Ristord.
C’est d’ailleurs lui qui fournit une véritable ouverture à la pièce, à mesure que les lumières
de la sallle baissent, avec les sons de la gare, du train qui arrive, les freins qui crissent.
Et puis des bruits extérieurs, plus ou moins perceptibles, avec notamment des sons d’oiseaux, illustrent très précisément le développement de l
a pièce.

Au final, c’est un beau moment de théâtre qui nous est proposé.
Venez donc passer ces deux heures dans la Cerisaie, avant que Lopakhine ne livre le domaine aux constructeurs de bungalows et aux estivants.

 

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