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le iench

© photo Y.P. -

© photo Y.P. -

Les éditions Acte-Sud-Papiers viennent de publier la première pièce de la metteure en scène Eva Doumbia.
Une pièce politique, au sens noble du terme. Une auteure décrit le monde tel qu'il ne va pas.

Il a onze ans, Drissa.
Il est Français, d'origine malienne.


Après un séjour à Marseille, avec sa famille, ses parents, sa sœur jumelle et son petit frère, il habite désormais un pavillon de province.
Comme il est fier, le papa Issouf, d'avoir pu accéder à la propriété.

 

Pour le gamin, en revanche, le symbole de l'intégration réussie, ce ne serait pas d'habiter cette maison provinciale, non, ce serait plutôt d'adopter un iench.
Un chien en verlan.

Vous avez dit intégration ? Mais quelle intégration ?
Sept ans plus tard, Drissa est toujours et plus que jamais confronté à la discrimination, au racisme.
Lui, il n'a pas le droit d'entrer dans la boîte de nuit locale. Motif : pas la bonne couleur de peau.

Quelle intégration lorsque les violences policières s'intensifient ? Oui, il faut appeler un chat un chat.

La société française actuelle permettra-t-elle à Drissa d'échapper à ce qu'elle a prévu pour lui, lui le non-blanc ?

La metteure en scène Eva Doumbia a écrit une première et remarquable pièce brûlot, une pièce coup de poing.

De celles qui ne peuvent laisser personne indifférent.

C'est ainsi que le thème de l'intégration sera avant tout un problème de domination.

Celle du blanc sur le noir.
Celle de l'Homme sur la Femme.
Celle du Père sur sa famille.
Celle du nanti sur le démuni.
Celle du riche sur le pauvre.
Ceelle du sachant sur l'ignorant.

Ca en fait, des dominations...

L'auteure franco-ivoirienne-malienne dresse un tableau on ne peut plus réaliste et impitoyable de notre société, par le prisme de toutes ces oppressions « ordinaires ».
Les dominants qui oppressent et oppriment les oppressés.

Avec un outil politique du pouvoir en place pour ce faire : la police.

En effet, la pièce est également le prétexte à rappeler toutes les « bavures » récentes, les insultes, les humiliations, toutes les violences physique ou morales infligées le plus souvent à ceux qui appartiennent aux minorités.

 

Le chœur nous les nommera à plusieurs reprises, ces victimes de l'institution policière : Zied et Bouna, Ait Brahim Moulay, Rémy Fraisse, Lamine Dieng, et tous les autres.

Et il y en a beaucoup, d'autres ! Hélas...

Quelques semaines de plus, et Eva Doumbia aurait pu ajouter George Floyd à sa terrible liste.

L'écriture de l'auteure est puissante, incisive, acérée, avec des formules chocs, des images qui vous restent gravées longtemps.


Elle puise dans ses origines africaines pour nous offrir de savoureuses métaphores, agrémentées d'argot ivoirien, ou des mots de la langue bambara.

De vrais moments poignants sont décrits, avec beaucoup de justesse, de réalisme, au moyen de phrases souvent très courtes.
Des phrases qui sonnent parfois comme des coups de fouet, des phrases et des mots terribles qui décrivent la dramatique réalité.
La dramaturgie est à l'image du style, vivante, non-linéaire, avec des allers-retours temporels.

Cette première pièce est une vraie réussite littéraire.

Elle sera créée en octobre prochain au CDN de Normandie-Rouen, dans la mise en scène de l'auteure.
Une tournée devrait suivre.
Nous devrions en reparler très bientôt...

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