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Don Giovanni

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

#BalanceTonDonGiovanni


Pour Ivo Van Hove, l'affaire est définitivement entendue.
Le héros de Mozart et Da Ponte est bel et bien un redoutable prédateur sexuel, doublé d'un assassin.
La petite fumée qui sort de la scène ne laisse planer aucun doute, les Enfers ne sont pas loin.

Ce type est on ne peut plus sulfureux.

Le metteur en scène le condamne d'emblée. Sans autre forme de procès.
 

Elle est loin l'image du gentil séducteur que l'on pouvait parfois avoir dans certaines mises en scène passées.
L'affaire Weinstein a laissé quantité de traces. Indélébiles.


La vision du metteur en scène belge du chef-d'œuvre mozartien sera sombre, très sombre. Austère et grise. Une grande sobriété va régner durant ces trois heures.
A l'image de ces éléments architecturaux qui attendent le public sur la scène du Palais Garnier.


Trois gigantesques tours de béton précontraint, reliées entre elles par des escaliers apparents, ou que l'on devine, entre grandes fenêtres ou cours intérieures.
Immanquablement, on pense aux constructions labyrinthiques et surréalistes de M.C. Escher, qui lui même s'inspira du peintre Giovanni Battista Piranesi.
Une vision de la Cité pesante, lourde, oppressante, éclairée par une lumière crue, froide, une Cité dans laquelle la fuite n'est pas permise et où le destin devra s'accomplir coûte que coûte.


Ces trois tours sont installées sur des tournettes. Elles pivoteront sur elles-même très lentement, de façon imperceptible, pour finalement créer un mur entier, plein, froid, où Don Giovanni sera acculé.


C'est alors qu'une fantasmagorique vidéo (merci Christopher Ash) y sera projetée, représentant à la toute fin de l'acte 2 les victimes du prédateur. Des victimes par milliers, qui gisent et se contorsionnent dans d'affreux tourments, se rapprochant inexorablement de nous.
Cette vision dantesque est saisissante.

 

Ivo van Hove a situé l'action de nos jours, si l'on en juge les costumes et les accessoires des chanteurs.
Don Giovanni et Leporello sont habillés de somptueux costumes noirs.
Le maître a de plus une cravate assortie ainsi qu'un long imperméable gris, bien pratiques pour l'échange vestimentaire de l'acte 2.
Il n'hésite pas à dégainer un pistolet automatique, avec lequel il assassinera le Commandeur.

Tous les costumes de cette production seront eux aussi noirs, sombres, ou gris, comme les chemises des villageois.
Seules quelques mannequins féminins (les conquêtes précédentes, probablement) seront vêtues de robes aux couleurs plutôt vives, pour la scène des masques.

Les interprètes de cette mise en scène, tous autant chanteurs que comédiens sont jeunes. Rarement l'œuvre est jouée avec une distribution aussi « juvénile ».
Mais attention : une jeune distribution certes, mais avant tout une distribution de grande qualité.


A son habitude, Van Hove dirige ses acteurs de façon précise, intense, tendue. Les jeunes interprètes ne sont pas lâchés avec mission de « folâtrer »... Pas du tout.

Philippe Jordan est chez lui, avec ses fidèles troupes de l'Orchestre et des Chœurs de l'Opéra.
Il assure également les parties de piano-forte pour les récitatifs.
Sa vision musicale de l'œuvre est violente, comme le héros, sans concession, presque sauvage, par moments.
A l'image de son premier geste de direction qui non seulement lance l'interprétation de l'ouverture, mais aussi l'allumage cru de la scène, (l'effet sera renouvelé au début de l'acte 2), il y a quelque chose de dur, de froid dans tout ça.
Le choix qu'il a fait de cette « dureté » est payant. Il sera ovationné aux saluts !

Une grande cohérence va régner tout au long de cette représentation, l'avant-dernière de la saison.

Le baryton Etienne Dupuis, dans le rôle-titre, est brillant. Son phrasé est à l'image du personnage, dur, violent, mais lors des scènes de séduction, un beau legato enchante tout le monde.
Un petit regret : il chante l'air de la sérénade hors plateau...
Beaucoup d'engagement ressort de son jeu. Il court beaucoup, tombe, se jette par terre. Son célèbre air du catalogue fait merveille, et provoque volontairement par le jeu quelques rires du public.


Philippe Sly en Leporello lui donne une impeccable réplique. La scène d'échange des costumes est un formidable moment. Lui aussi a un rôle très physique. De nos jours, il faut très bien chanter en bougeant énormément.
Les deux seront très applaudis.

Donna Elvira-Nicole Car (l'épouse à la ville d'Etienne Dupuis) mène la vie dure à son Giovanni...
Elle est magnifique de rage, de fureur. Les duos du couple sont prétexte à de très beaux et très délicats moments tout en douceur et suavité.

Un autre couple épatant, c'est celui de Zerlina-Masetto !
Elsa Dreisig est parfaite, tour à tour féroce, tendre, sensuelle. Son timbre chaud, son vibrato parfaitement maîtrisé et son beau phrasé remportent tous les suffrages.
Mikhail Timoshenko est Masetto (il fut le Mithiouka de Boris Godounov, déjà mis en scène récemment à Bastille par Ivo Van Hove). Lui aussi sera très applaudi, son charisme et son timbre chaud et rond faisant merveille.

J'ai été également enthousiasmé par Stanislas de Barbeyrac qui est un grand Don Ottavio. Une grande présence scénique alliée à un beau timbre ravissent les spectateurs.

Quant à Jacquelyn Wagner, elle campe une Donna Anna très forte, très concernée. J'ai beaucoup aimé son timbre très fin, très cristallin,

Quant au Commandeur, c'est un autre habitué des lieux qui s'y colle.
On avait récemment applaudi la basse estonienne Ain Anger en Pimène, à Bastille, toujours dans le Boris Godounov.
Sa voix (très) grave, profonde convient à merveille au Commandeur. Il est très impressionnant !

On le sait, Don Giovanni mourra, permettant ainsi à la morale d'être (relativement sauve), permettant également à la vie de reprendre, aux balcons de refleurir.
Pour autant, les difficultés ne seront pas toutes aplanies.
Certains devront même attendre une année entière afin de convoler... Et en une année, il peut s'en passer...

La vision très aboutie d'Ivo Van Hove, si elle ne révolutionne certes pas l'œuvre de Mozart-Da Ponte, en permet une lecture très actuelle, très contemporaine.
Elle permet également de rappeler s'il en était encore vraiment besoin, le caractère universel du propos de cette partition et de ce livret.
#MeToo

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