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The hidden force

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Une grande leçon d'humidité !


L'eau. La pluie. Omniprésente.
La chaleur, la moiteur. Java. Début du XXème siècle, sous la domination néerlandaise.


Otto Van Oudjick est le Résident de sa province, l'équivalent d'un gouverneur colonial local.
Un haut fonctionnaire intègre, honnête, zélé, paternaliste, entièrement dévoué à sa mission, mais complètement aveugle à la culture et aux traditions locales, incapable de comprendre l'Autre.
Un fonctionnaire trop dévoué. Au point de délaisser sa famille. Sa jeune femme multiplie les aventures extra-conjugales, ses enfants se détournent de lui, sa gestion administrative est remise en question, le peuple javanais est en ébullition...


Tout part à vau-l'eau.
La descente aux enfers est inévitable. Des enfers on ne peut plus mouillés et liquides.
L'érosion des âmes des colons voulant dominer une population.


En adaptant le roman de l'écrivain naturaliste néerlandais Louis Couperus (1863-1923), Ivo Van Hove s'attaque à son tour à ce problème colonial.
En visionnaire, visitant en 1899 l'Indonésie en pleine apogée de la domination des Pays-Bas, il prédit la disparition inévitable des colons hollandais.


Quelle est cette force cachée, inéluctable, qui va conduire les Pays-Bas à se rendre compte que coloniser un peuple est une entreprise vouée à l'échec ?
« Je sens des forces nous menacer, comme quelque chose qui grouille dans l'ombre », dira Van Oudjick
Cette force cachée, c'est ce que ce gouverneur ne comprend pas, ce choc des cultures, le poids des religions, également. Ce besoin d'un peuple (et de sa nature environnante) à disposer de lui-même.


Une nouvelle fois, Ivo Van Hove nous démontre qu'il est l'un des plus efficaces fabricants actuels d'images dramaturgiques inoubliables servant un propos politique au sens noble du terme.

Sa mise en scène au départ très réaliste va bifurquer dans une dimension quasi fantastique.


Une scénographie technique très lourde et très sophistiquée, sur un plateau de caillebotis quasiment vide, à part quelques accessoires, dont des carillons de bambou, des percussions locales et un piano à queue très aqueux, va lui permettre de nous plonger dans l'élément liquide.

(Au passage, même ce piano occidental se désaccordera, vaincu par les cancrelats locaux. Le bambou résistera, lui. Le diable Ivo Van Hove se niche dans les détails...)

Grâce à un pont mobile au dessus de la scène permettant de faire pleuvoir sur le plateau (des ondées, des trombes d'eau, du crachin...), le tout éclairé en contre, l'élément liquide est pratiquement omniprésent.


Un tsu-nami est même recréé, une tempête qui fait froid dans le dos. On sent même dans les premiers rangs les gouttes d'eau, et la fraîcheur qui envahit le plateau. C'est un vrai choc visuel et esthétique. Cette séquence incroyable restera longtemps dans ma mémoire.
Les comédiens, tous pieds nus, seront souvent trempés, obligés de changer très souvent de costume.

Des éclairages sophistiqués et de magnifiques projections vidéo sur les trois larges murs de la scène permettent de recréer des atmosphères indonésiennes, parfois très oniriques.

Il nous montrera également une scène quasiment d'auto-citation (j'ai pensé à une séquence de sa mise en scène de Vu du pont), mais qui fonctionne parfaitement, glaçant les spectateurs.

La pièce est en néerlandais, sous-titrée en français.
J'ai eu beaucoup de chance. Ma voisine du rang de devant était une ressortissante néerlandaise, et qui plus est, lettrée.
Elle m'a affirmé que le metteur en scène avait su parfaitement adapter Louis Couperus, (auteur qu'elle connaissait bien, il est très célèbre aux pays-Bas) en calquant sa mise en scène sur l'écriture du romancier.
Elle avait pleinement ressenti le style vif, concis, percutant, sans fioritures de l'écrivain en voyant ce qu'avait proposé Van Hove.

Les excellents comédiens de l’Internationaal Theater Amsterdam (ex-Toneelgroep Amsterdam)
sont donc dirigés très précisément, avec de grandes confrontations, des scènes d'oppositions frontales, des scènes de grande sensualité, également. La force cachée génère des cris, des moments intenses, très tendus, très forts.

La scène finale est émouvante. Nous comprenons en voyant le départ des membres de la petite colonie et ce qu'est finalement devenu ce gouverneur ne portant plus qu'un simple sarong, nous comprenons l'inéluctabilité et le caractère vain de toute domination coloniale.

C'est au final un spectacle d'une grande force dramaturgique, esthétique, visuelle et scénographique qui nous est proposé.
Ivo Van Hove, avec une nouvelle fois son style reconnaissable entre tous et une incontestable maestria signe une fresque brillante, engagée, qui peut certes choquer, irriter certains spectateurs, mais qui ne laisse personne indifférent, enthousiasmant les inconditionnels, dont votre serviteur.

De très longs applaudissements amplement mérités ont salué hier la performance des comédiens et des techniciens.

© Photo Jan Versweyweld

© Photo Jan Versweyweld

© Photo Jan Versweyweld

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