Overblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU

Dom Juan

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Il ira de ville en ville porter la joie de vivre, ils feront des cabrioles, les clowns sont faits pour rire.
Oui, le voilà, oh halte là, le cirque Daguerre est là !


Impossible de se tromper, les musiciens en uniforme à brandebourgs s'installent sur leur petite estrade étoilée, la fumée envahit l'espace, on règle les derniers éclairages, un régisseur visse deux ou trois ampoules, un garçon vient balayer la piste : oui, nous sommes au cirque, le spectacle peut commencer !

 

Dès la porte de la salle du magnifique Ranelagh franchie, la référence nous saute aux yeux : nous pourrions nous trouver dans un film de Federico Fellini.


Jean-Philippe Daguerre a donc choisi de bousculer Molière. Et il a bien fait.
Les grands auteurs sont faits pour être chahutés, à condition d'en respecter le texte, l'esprit et le propos. Ici, c'est pleinement le cas.


En adaptant le chef d'œuvre de M. Poquelin, le Molière 2018 de l'auteur francophone vivant nous fait partager comme une évidence : le duo Dom Juan-Sganarelle sera le fameux couple clown blanc-Auguste.


Ces deux clowns seront donc à la fois complètement différents et totalement complémentaires.
Les oppositions des deux personnages sautent aux yeux dès les premières minutes.


Teddy Melis sera un incroyable Sganarelle, sautant, virevoltant, fort en gueule, extraverti avec un phénoménal abattage. Sans oublier ses faux airs à la José Garcia.


Simon Larvaron, au contraire, sera un Dom Juan très hiératique, très posé, très calme, par certains côtés glaçant. Il incarne pleinement et très finement ce « sex-addict » très ambigu, ambivalent, un jeune homme qui aime sincèrement les femmes, mais que cette passion perdra.


La vision de Jean-Philippe Daguerre de ce duo indissociable fonctionne à la perfection.
Nous rions beaucoup (il ne faut jamais oublier que cette pièce est une comédie), et nous sommes en permanence sidérés au sens premier du terme par les frasques « amoureuses » du héros.


Vanessa Cailhol incarne une émouvante Doña Elvire. La comédienne, également chanteuse et danseuse accomplie mettra au service de la pièce ses multiples talents, nous proposant un personnage de femme à la fois fragile et forte, une femme bafouée mais pleinement consciente des enjeux.


Ce sera un Dom Juan musical. Le compositeur Petr Ruzicka, avec qui Jean-Philippe Daguerre travaille depuis de nombreuses années, a créé une partition qui colle parfaitement à la vision du metteur en scène. J'ai même relevé quelques citations du Don Giovanni mozartien.


Mais ce sera également un Dom Juan « psychanalytique ».
Dans son adaptation, Jean-Philippe Daguerre a osé changer le sexe de celui qui déchaîne sa colère contre le héros.
Dom Luis est devenu Doña Luisa. C'est la figure de la mère et non plus celle du père qui viendra hanter Dom Juan.


Nathalie Kanoui sera cette mère-là. Une implacable dompteuse armée de son fouet. (La scène de la première confrontation est d'une troublante intensité. Le fils maudit devient un animal féroce, prêt à bondir).

Si ça fonctionne ? A la perfection.
Parce que le metteur en scène a osé « penser que c'est ce qu'aurait sans doute fait Molière s'il avait rencontré Freud au XVIIème siècle ».

Toujours dans la même veine, c'est peut-être un détail mais qui moi m'a marqué, à un moment important du spectacle, un projecteur caché à jardin vient frapper de son faisceau un miroir à cour qui renvoie vers le public la lumière. Comme une révélation d'une vérité enfouie, par le biais d'un filtre-révélateur.

Charlotte Ruby (par ailleurs violoncelliste émérite) et Grégoire Bourbier se partagent les autres rôles, avec notamment des accents épatants dans la scène entre Charlotte et Pierrot.

Attention, que l'on ne se méprenne pas : le texte est respecté à la virgule près.
Nous sommes bien dans Molière ! Que l'on ne s'y trompe pas !

On l'aura compris, Jean-Phillippe Daguerre nous propose sa passionnante vision d'un chef-d'œuvre.
Oui, il a pris des risques.
Oui, il a osé assumer des parti-pris de mise en scène qui nous font presque re-découvrir cette pièce.
Cette vision-là est pleinement au service du génie qu'est Molière.

C'est un spectacle incontournable !
------


Ne manquez surtout pas dans les jours à venir l'interview radio que m'ont accordée Melle Cailhol et MM Daguerre et Larvaron, qui reviendront chacun à sa manière sur cette belle entreprise dramaturgique.
 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article