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Asphalt Jungle

(c) Photo Y.P. -

(c) Photo Y.P. -

Un type entre côté jardin, éclairé violemment de profil.
En coulisse, toujours à jardin, on entend le bruit de coups portés.

On comprend que deux hommes en frappent un troisième, avec une jubilation manifeste. Les deux finissent par entrer sur scène et vont apprendre au premier à frapper lui aussi leur victime.


Nous sommes alors plongés dans une sorte de leçon macabre et dramatique de l'ultra-violence en apparence gratuite.


L'apprenti-tortionnaire a du mal non seulement à comprendre le but de tout ceci, pourquoi il doit martyriser son prochain, mais également comment passer à l'acte.

 

Et pourtant, la violence gratuite, la relation de domination, d'asservissement, de harcèlement, les rapports de soumission entre un bourreau et sa victime vont finir par s'installer.

 

Mais d'autres relations, encore plus malsaines, vont intervenir entre ces quatre hommes.

De la soumission à la complicité, il n'y a qu'un pas, du dominant au dominé, il n'y a que l'épaisseur d'une feuille de papier-cigarette.


Avec un problème moral inhérent, la supériorité supposée d'un homme sur un autre, et la relation de pouvoir absolu qui va finir par en découler.


Le théâtre de Sylvain Levey est de ceux qui dérangent, qui interpellent sacrément, et qui disent et montrent plus que crûment les choses.

 

Je ne connaissais pas cette pièce, et j'ai ressenti la même impression qu'au premier visionnage d'Orange mécanique, de Kubrick.

Ce sentiment de recevoir une vraie claque (au propre comme au figuré!)


Un choc qui vous met mal à l'aise. Et quand vous aimez comme moi au théâtre être mis sciemment mal à l'aise, ce sentiment est jouissif.


Le metteur en scène Laurent Maindon a une nouvelle fois opté pour un plateau nu, à l'exception de trois grands néons verticaux, qui ensemble ou séparément éclairent le plateau d'une lumière violent et crue, transformant ainsi la scène en véritable ring.

 

Les quatre comédiens, dans cette heure de dénonciation de la violence fascisante vont plonger le public dans un mélange de fascination et de répulsion.


Yann Josso et Christophe Gravouil sont les deux « apprenants » qui, implacablement, vont enseigner comment torturer la victime.
Les deux sont impressionnants : ils donnent à leurs personnages respectifs une perversité, un sadisme inouïs, sans oublier un féroce humour plus que noir. (Qui nous fait rire... Cet humour noir qui fait rire jaune...)

 

Nicolas Sansier est l'apprenant, celui qui doit faire ses classes en matière d'être humain voulant démontrer sa supposée supériorité face à un inférieur, un type qui au passage n'a pas la même nationalité que lui.

Lui aussi est excellent. Il donne à son personnage d'élève une densité phénoménale, avec une progression on ne peut plus subtile. Du refus, il passera à l'acte en essayant, tâtonnant, et puis en jubilant.

 

Pour le coup, ces trois-là nous entraînent dans une magistrale et terrible leçon de pédagogie du tâtonnement expérimental.


Et puis, il y a Ghyslain del Pino. Lui est dans le registre peut-être le plus difficile, dans une ambivalence jamais tout à fait évidente.

En effet, la pièce va évoluer de façon implacable. Et non, je n'en dirai pas plus.


A aucun moment, la tension dramatique ne faiblira, jamais nous ne serons « tranquilles », toujours en perpétuelle déstabilisation.


Les quatre nous happent dès les premières répliques et ne nous lâcheront plus jamais, tous parfaits, nous plongeant dans un malaise complètement assumé et maîtrisé.


Vous l'aurez compris, ce moment très intense de théâtre a été pour moi un véritable choc.
Un moment fort qui fait fonctionner à plein régime les trois mécanismes fondamentaux du théâtre : la double-énonciation, la distanciation et la catharsis.

On ne ressort donc pas totalement indemne de la Manufacture des Abbesses, et c'est tant mieux !

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