30 Novembre 2017
Une salle d'attente.
Un décor aseptisé, tout blanc, impersonnel au possible.
Deux tables, des chaises. Un porte-manteau.
Deux éléments de climatisation, un vasistas, un haut-parleur.
De ce dernier, s'écoulera en boucle, durant la totalité de cette heure et quart, une « musique » sirupeuse, mièvre, de celles que l'on entend dans les ascenseurs ou.... les salles d'attente des grandes entreprises. Justement.
Trois personnages en quête de labeur viennent passer des tests et un entretien d'embauche.
Tout de suite, le burlesque de la situation va sauter aux yeux.
Oui, Jacques Tati n'est pas loin.
C'est Véronic Joly qui entre la première en scène.
Tous les codes sont là : son Anna est en petit tailleur, jupe à mi-cuisse, collants noirs, cheveux « enchignonnés », porte-documents sous le bras...
Un détail laisse pourtant présager de ce qui va suivre. La mèche rebelle !
Ce qu'elle fait est assez phénoménal. Sans rien dire, en en faisant très peu, elle déclenche les rires.
Sa scène avec le porte-manteau est grandiose. Quel sens du geste, quel art du comique de situation !
Ensuite entre le deuxième postulant, Raoul, interprété par Matthieu Beaudin, tout aussi suspicieux, terriblement inquiet, se donnant des airs inouïs de suffisance devant cette concurrente potentielle.
Durant de longues minutes, assis l'un à côté de l'autre, ce que font les deux comédiens, sans prononcer un mot, est là aussi totalement jouissif et burlesque. Leurs regards et autres coups d'oeil sont merveilleux Du grand art.
Qu'est-ce que l'on rit !
Et puis voici Esteban. Pablo Contestabile interprète ce troisième homme, dont je ne vous révélerai pas qui il est, afin de ne pas « spoiler » la pièce.
Sophie Gazel, l'auteure et metteure en scène a écrit cette pièce en Espagne, en 2012, au plus fort d'une crise économique et sociale sans précédent.
Si le sujet a déjà été traité, on se souvent de la pièce « La demande d'emploi » de Michel Vinaver, ici, nous sommes amenés à réfléchir plus précisément à l'absurdité de ces relations artificielles qui peuvent se créer d'une façon complètement malsaine entre l'Homme et sa vie professionnelle, et puis sa vie tout court.
Dans ce spectacle, ce sera l'absurde, le burlesque, la farce qui serviront de ressorts principaux à la dramaturgie.
On rit aux éclats (ce fut mon cas) devant les gesticulations de ces trois-là, devant leurs « élucubrations professionnelles en novlangue », proférées tout au long du spectacle.
Nous sommes bien dans le registre de l'asservissement de l'homme par l'homme.
Les personnages se rendent bien compte qu'ils sont prisonniers de cette salle ( cette réclusion leur sera signifiée plusieurs fois de bien efficace manière), à attendre un recruteur, un chasseur de tête ou un DRH.
Les recevra-t-on simplement, en vient-on à se demander...
Les trois interprètes sont juste parfaits, Chacun dans leur rôle.
Rien n'est statique, ils vont beaucoup bouger, sauter, tomber. Une métaphore de cette société toujours en mouvement, et pourtant totalement enfermée...
Ils tenteront bien, bon gré, mal gré, de se révolter...
La fin de la pièce sera à cet égard emblématique, et proposera une bien belle conclusion, que je ne dévoilerai pas, bien entendu.
Je me suis vraiment régalé à suivre les péripéties de ce huis clos hilarant.
Hilarant, mais un huis clos finalement assez angoissant également, qui porte un regard on ne peut plus réaliste et lucide sur ce monde du travail complètement déshumanisé et dont la cruauté est mise ici si brillamment en exergue.
Une vraie découverte et un vrai beau moment théâtral.