30 Septembre 2025
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Et Dieu créa le fan…
Nous sommes le 4 septembre 1998.
Le Stade de France a quelques mois d’existence. Le tout premier concert dans ce lieu va avoir lieu dans quelques heures.
Quatre-vingt-mille personnes attendent celui qui fait figure de Messie réincarné, de Divinité à la fois païenne et bien vivante, bref, de leur Idole absolue, je veux bien entendu parler de Johnny Hallyday.
Lui, cet homme en perfecto noir, lui, il est déjà là depuis deux jours, avec sa tente, devant l’entrée du stade, avec son billet carré or A1. Impossible même d’être mieux placé.
Lui, c’est le Fan. Avec un grand F.
Celui qui a appelé ses fils Johnny et David.
Celui qui a acheté plusieurs places de concert pour qu’il y ait moins de monde et que Johnny puisse chanter beaucoup plus pour lui.
Seulement voilà, on sait ce qui devait arriver, lors de ce premier des trois concerts dyonisiens…
Je n’apprendrai rien à ceux qui savent, et ceux qui ne savent pas découvriront, pour paraphraser un certain Feydeau...
Dans un spectacle à la fois réjouissant, très souvent très drôle, très documenté et quasi-sociologique, Guillaume Marquet (rencontré voici quelques années dans Le dernier baiser de Mozart) va nous parler de ce phénomène étrange qu’est le rapport que peuvent entretenir certains êtres humains à ces célébrités qu’elles sont prêtes à vénérer, parfois plus que leur propre famille.
Ce qu’on a coutume d’appeler l’idolâtrie.
L’auteur-comédien interprète donc avec un remarquable engagement cet homme-là, afin de nous faire partager un réel et légitime questionnement concernant la puissance de l’idole et son emprise sur les cœurs et les âmes.
Au fond, il s’agit ici de positionner nous-mêmes par rapport à nos propres références culturelles, nos propres dieux culturels…
Dans un jubilatoire tourbillon dramaturgique co-mis-en-scène avec Nathalie Sandoz, le comédien interprète une kyrielle de personnages, gravitant autour de la Star, ayant avec lui ou encore rappelant des épisodes fameux de la vie Smetienne.
Comme j’aimerais vous détailler cette liste de personnages connus ou imaginaires, comme j’aimerais vous raconter ces épatantes scènes de comédie qui émaillent le spectacle…
Bien entendu, je n’en ferai rien. Il me faut vous laisser découvrir par vous-mêmes !
Ce que je peux dévoiler, c’est que ce spectacle s’inscrit dans une double temporalité.
Celle du soir du fameux concert en question, avec les longues heures qui s’écoulent avant le coup d’envoi.
Celle qui consiste nous proposer des flashs-backs très malins, qui nous narrent les liens que certaines et certains ont pu avoir avec l’artiste.
Outre le jeu dramaturgique, Guillaume Marquet chantera également. Et très bien !
Notamment un titre dont l’original fut composé par Bob Seger, avec son Silver Bullet Band…)
Une merveilleuse scène de comédie nous fait hurler de rire, par ailleurs une scène de chorégraphie, où le public est invité à participer, ce dont votre serviteur ne s’est pas fait prier !
C’est hilarant !
Pour autant, avec ce spectacle, il ne faut pas s’attendre à un biopic. Pas du tout, le propos est beaucoup plus profond et subtil.
Le comédien a lu maints ouvrages sociologiques consacrés à ce phénomène de étrange de fascination d’individus envers un homme ou une femme.
Ici, il est question d’illustrer ce rapport, et finalement de le déconstruire assez méthodiquement.
Au fond, comme disait Léo Ferré, « Il n’y a pas d’idoles. Non. L’idolâtrie est littéraire ou imbécile. Il n’y a que des hommes, et encore… Il y a la vie, et puis la mort. C’est tout. »
Le décor et la scénographie ne constituent pas la ligne budgétaire la plus importante du spectacle.
Deux barrières métalliques constituent le seul mobilier (avec un micro sur pied, toutefois).
Ces deux éléments ont une importance considérable.
Elles symbolisent la distance qui existe entre l’artiste et ses fans.
Installées dans un but sécuritaire ? Certes, mais pas que.
L’idée, tout comme le port de lunettes noires, même en intérieur, est pour les pseudo-idoles de mettre une distance matérialisée avec leurs adulateurs, ces gens dont ils se moquent et qu’ils ne rencontreront jamais.
Le parti-pris dramaturgique et scénographique est très signifiant, et fonctionne à la perfection.
La fin, maligne, fera intervenir deux autres grands artistes, cette fois-ci décédés.
C’est un spectacle qui doit s’écouter également très attentivement : les chansons, bien entendu, mais également les sons, les ambiances, les conditions météo participent également à la réussite cette entreprise artistique.
Ne manquez surtout pas ce spectacle à nul autre pareil, qui soulève une vraie question au moyen de parti-pris subtils et très judicieux.
On sort du Théâtre de la Flèche conscients d’avoir assisté à une proposition intelligente, très cohérente, et surtout maîtrisée de bout en bout.