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ZOO, ou l'assassin philanthrope

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Sous le soleil des Tropis !

Bienvenue à la Cour d'Assises de Montereau-Fault-Yonne, où se déroulait hier un procès d’importance.

Ce procès devait répondre à une question redoutable : qu’est-ce qu’un Homme, finalement ?

Quelle est la différence entre cet homme-là et un animal ?

Les Tropis, donc.

Ou plus exactement les Paranthropus Erectus (invention de l’auteur), le chaînon manquant entre le singe et l’homme. L’être qui se situe à la grande fourche de l’arbre généalogique initial.
L’expédition du Professeur Greame l’a trouvé ce chaînon manquant-là. Avec en prime une idée soi-disant géniale : inséminer une femelle Tropi avec les gamètes du journaliste Douglas Templemore, pour voir si la descendance serait humaine. Ou pas.

Douglas Templemore, une fois le « bébé » né, va utiliser la strychnine pour mettre fin à la vie du petit être. Afin d’instaurer le débat.

Toute la question est donc de savoir s’il a tué un être humain ou d’un animal.

Vercors, signait lui-même en 1963 l’adaptation théâtrale de son roman Les animaux dénaturés, pour nous proposer une vertigineuse réflexion quant à notre condition humaine.

C’est donc cette pièce que Jean-Marc Galéra, assisté d’Annette Benedetti ont choisi de monter, en prenant un risque. Parce que mettre en scène, c’est le plus souvent prendre et assumer un risque.

Il faut sans plus tarder l’annoncer : ce risque va se révéler payant. Vraiment !

Le metteur en scène a choisi de mettre en avant la drôlerie contenue par fines petites touches dans ce texte, pour tirer le tout vers une farce souvent burlesque et absurde.
Ici, nous sommes presque par moments chez Ionesco.
Nous voici à cent lieues de ce que pouvait nous proposer l’an passé à l’Espace Cardin, Emmanuel Demarcy Mota, le patron du Théâtre de la ville de Paris.
Voilà bien cette alchimie étrange, qui permet à partir d'une même œuvre, de voir deux spectacles différents !

Prendre des risques, c’est pouvoir être certain de s’appuyer sur des parti-pris plus judicieux les uns que les autres.
En l’occurrence et en la matière, Jean-Marc Galéra déroule une partition sans faute pour nous proposer deux heures et quart d’un théâtre enthousiasmant et réjouissant.

Avec Charles Templon, bien connu des fidèles de ce site, devenu pour l’occasion scénographe, il a de plus déjoué le redoutable piège que peut poser la magnifique salle du Majestic, la Scène de Montereau : la très grande surface du plateau.
Au lointain, un grand cyclo recevra des lumières bleues ou orangées, des projections d’images très discrètes mais très signifiantes serviront à planter le décor.
Les corps existent pleinement sur cette scène gigantesque : des comédiennes et des comédiens très présents, des déplacements millimétrés, de beaux tableaux de foule « remplissent le vide. »,

(A propos de déplacement millimétré, je pense que j’ai assisté hier à la plus belle entrée d’une comédienne sur une scène de la saison, avec l’apparition quasi-surréaliste d’une professeure de médecine légale côté cour. Eclairée de façon précise et magnifique, une fine égoïne à la main et dans une démarche à la Frankenstein, Sophie Bezard est sensationnelle de présence et de drôlerie ! La comédienne interprète un autre rôle dont nous parlerons un peu plus loin. Un coup de chapeau et un coup de projecteur à Vincent Ravanne, qui signe la belle création-lumières !)

De plus, des éléments mobiles, symbolisant les différents espace d’un tribunal, sont déplacés tout au long du spectacle. La mise en scène sera au passage également verticale.

Bien entendu, les membres des deux troupes, celles de la compagnie Scène en Seine et de la compagnie de l’Accalmie vont être totalement partie prenante de cette réussite artistique, qu’ils soient professionnels ou amateurs (très éclairés).

Tout commence avec une très jolie scène, difficile à négocier, car c’est la première : Valérie Carnet et Isabelle Dervillez nous annoncent ce qui va suivre, leurs personnages nous laissent sous-entendre le propos général. L’entrée en matière est parfaite !

Faut-il rappeler dans ces lignes la large palette de jeu et la vis comica d‘Annette Benedetti et Jean-Marc Galéra ?
Les deux se sont concocté pour l’occasion un très grand moment de comédie, dans une confrontation entre la ministre de la justice et le président du tribunal.
Ce qui se passe alors est formidable d’humour, de sous-entendus, de ruptures, de mimiques appuyées. Cette scène est purement et simplement brillante !

Trois autres comédiennes m’ont enthousiasmé !
Sophie Bezard incarne l’archéologue Greame avec une puissance phénoménale : en jupe-culotte ample, avec ou sans veste de fourrure, elle est à la fois drôle et très charismatique. Quelle énergie, quelle fougue, quelle justesse !

Sandrine Lebois en Procureure est quant à elle admirable, je l’écris comme je le pense.
Une sacrée force, une sacrée présence ! Sans jamais tomber dans l’excès, nous faisant toutefois et assez souvent fonctionner nos zygomatiques, elle donne une réelle épaisseur à son personnage.

Céline Harlingue-Lemaire m’a bouleversé, lorsque se plantant devant nous, tout près de nous, elle donne la définition de l’Homme que son personnage veut exprimer. La comédienne, qui elle aussi sait maîtriser par ailleurs parfaitement un humour souvent très corrosif, est alors admirable dans ce rôle d’avocate humaniste.
Bouleversante, vous dis-je !

Du côté masculin, Delmiro Iglesias va s’en donner à cœur joie !
Que ce soit en médecin ou surtout en professeur à l’accent germanique, il est irrésistible ! Comment ne pas s’esclaffer devant ces deux personnages très hauts en couleur ?
Ses ruptures, sa gestuelle (quelle admirable génuflexion!), ses expressions outrées, tout ceci est grandiose !

Quant à Didier Gonçalves, son prêtre exalté m’a fait penser au personnage principal de Fitzcarraldo. J’ai cru que sans aide d’une quelconque machinerie, il allait s’envoler aux cieux !
Le comédien donne beaucoup de sa personne en coulisse, entre deux scènes. (Je vous laisse découvrir pour une éventuelle reprise… Mais il faudra attendre un peu... je n'en dis pas plus...)

Un autre magnifique moment redoutable à négocier pourtant : la scène où le jury se déplace au zoo.
Grâce à une astuce scénographique, et grâce aussi à nous autres, spectateurs, il faut bien le dire, ce qui se joue sur le plateau est épatant !
Qu’est-ce que j’ai ri, dans cet exercice de champ-contre-champ !

Il me faut absolument mentionner également le talent d'Anne Rabaron en matière de création de costumes. Elle aussi contribue pleinement à la réussite de ce spectacle.

Vous l’aurez compris, cette entreprise artistique est de celles qui se dégustent : le texte philosophique de Vercors est ici parfaitement mis en valeur, par un prisme très humoristique.
Les spectateurs, (qui applaudissent souvent entre deux scènes), ne s’y trompent pas : une véritable ovation est réservée à la troupe, ce qui n’est que justice.

Le fond, la forme, l’intelligence de la mise en scène : que demander de plus à ce spectacle qui fait beaucoup de bien, par les temps qui courent !

Jean-Marc Galéra - © Photo Y.P.

Jean-Marc Galéra - © Photo Y.P.

Annette Benedetti - © Photo Y.P.

Annette Benedetti - © Photo Y.P.

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