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Big mother

© Photo Y.P. -

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Big Brother watched you ?
Big Mother does more than watching you!

Hong-Kong. De nos jours.
Une chambre d’hôtel où se sont réfugiés trois journalistes.
Le rédacteur en chef du New-York Investigation et deux de ses meilleurs éléments craignent pour leur vie, s’apprêtant à révéler au monde entier une gigantesque manipulation de masse.
Le téléphone sonne, des coups violents font trembler la porte.

Flash-Back…

Après le succès de ses deux précédentes créations, Les crapauds fous et La course des géants, Mélody Mourey nous propose un redoutable et passionnant thriller politico-médiatique, tenant en haleine les spectateurs des Béliers Parisiens durant une heure et demie.

De façon très pédagogique, très habile, sans jamais tomber dans une propos pontifiant, sa démonstration sera à la fois implacable et imparable.
Au fond, tout en nous rappelant ces chefs d’œuvre du genre que sont les films Les hommes du Président, Pentagone papers, Révélations, Spotlight, ou encore et peut-être surtout Sur écoute, Mademoiselle Mourey nous remet en mémoire les histoires respectives de Julian Assange et Edward Snowden.

Ici, il va s’agir de dénoncer un golden boy de la Silicon Valley ayant mis au point un progiciel capable de planifier sur une échelle jamais égalée une monstrueuse collecte d’informations personnelles permettant de confisquer aux internautes leur libre-arbitre en matière de démocratie, et surtout les privant au final de leurs plus élémentaires libertés.

Nous allons donc suivre l’enquête d’une rédaction de journalistes particulièrement tenaces, affutés, plaçant la déontologie de leur métier au dessus de tout.
Mélody Mourey n’hésite d’ailleurs pas pour démontrer ce professionnalisme à évoquer à raison la Charte de Munich ou encore le site Forbidden Stories, que je vous recommande vivement.
Elle évoque également une agence de “communication” destinée à manipuler l’information, qui fait inévitablement penser à l’affaire française Avisa Partners.

Nous, les spectateurs allons découvrir les rouages de cette quête de la vérité, tout en étant stupéfaits par l’ampleur de la manipulation.
Bien entendu, Snowden a montré que des entités politiques pouvaient mettre en œuvre des programmes de surveillance de masse. Ici, par la fiction, grâce au théâtre, nous réalisons les hallucinants tenants et aboutissants de ce gigantesque détournement démocratique.

Ce spectacle témoigne d’une grande réussite non seulement sur le fond, mais également sur la forme.
L’esthétique de la pièce est inspirée de séries actuelles, avec des codes et les parti-pris très précis.

Nous allons retrouver le principe du split-screen, avec plusieurs écrans au lointain, sur lesquels seront projetés en permanence quantité d’informations, de sondages, d’articles, de plateaux-TV, etc.
Il faut tirer un coup de chapeau à Olivier Prost qui a réalisé une scénographie très judicieuse, et à Edouard Granero, qui signe un très important travail video particulièrement réussi. Que de boulot, en amont !

La mise en scène de Mélody Mourey va reprendre également le montage rapide et millimétré de ces séries.
Dans une remarquable fluidité, grâce à une précision de tous les instants, sur scène, s’enchaînent de façon fulgurante, à la seconde près, les différentes séquences dramaturgiques. Les comédiens passent en un instant seulement d’une situation à une autre.
Nous sommes littéralement embarqués dans le tourbillon de ce thriller, nous ne sommes jamais perdus, nous savons en permanence où nous en sommes.
Tout ceci est très habile.

Les belles lumières de Arthur Gauvin et la musique prenante et haletante de Simon Meuret participent également et pleinement à cette esthétique particulière.
Nous sommes véritablement et “en vrai” dans les plates-formes de streaming.

Bien entendu, tout ceci ne servirait pas à grand chose sans l’épatante troupe de six comédiens qui vont nous montrer et nous raconter cette histoire.
Ces six-là vont nous captiver, nous passionner et nous faire souvent beaucoup rire.

J’en veux pour preuve la présence de la toujours formidable Karine Marimon, qui, une nouvelle fois, nous démontre sa vis comica, sa grande capacité à faire fonctionner nos zygomatiques.
Dans ce Big Mother, elle a plusieurs rôles. Rédac-chef adjointe, mère juive haute en couleur vantant les mérites du docteur Cohen, le meilleur ophtalmo de New-York, ou bien en employée de banque pour le moins lymphatique, elle est très souvent hilarante.
Elle a su parfaitement restituer les formules percutantes et drôles de l’auteure.

Le trio de journalistes est incarné avec beaucoup de puissance et de crédibilité par Ariana Brousse, Patrick Blandin (épatant rédacteur en chef bourru, on ne peut plus professionnel, plaçant l’éthique professionnelle au dessus de tout), et Pierre-Yves Bon survolté pour la bonne cause.
Les trois comédiens nous font ressentir en permanence le rythme haletant et le propos souvent anxiogène de leur enquête.

Marine Llado joue avec la fille du rédacteur en chef, qui va se retrouver prise au piège à travailler pour le grand manipulateur. L’ambiguïté du personnage est très bien mise en valeur, la comédienne ayant su faire passer le positionnement professionnel contraire à l’éthique de son père.

Ce grand manipulateur, en costume noir et en col roulé assorti (suivez mon regard…), c’est Guillaume Ducreux, qui joue ce dangereux démagogue de façon glaçante. Lui aussi est parfait.

Et la fin, me direz-vous ?
Et la fin, vous répondrai-je !

Mélody Mourey continue donc de nous proposer un théâtre à la fois ambitieux et populaire au sens noble du terme. Un théâtre capable de rassembler tous les publics au service d’un propos d’une grande acuité et d’une grande profondeur.
Le fond et la forme, vous dis-je !

Le public ne s’y est pas trompé, hier, qui s’est levé dans une standing-ovation spontanée et totalement méritée.

Direction le Théâtre des Béliers parisiens. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas !

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