20 Février 2023
"On a tous en nous quelque chose de rétréci...", professait (presque...) naguère le célèbre philosophe Jean-Philippe Smet, sous un pseudonyme qu’il est inutile de rappeler ici...
Elle, ce qui rétrécit, c’est sa place dans nos sociétés que l’on dit modernes, connectées au dernier degré, numérisées à qui mieux-mieux, digitalisées que même plus, ça ferait trop.
Elle, c’est Coco, qui a fait sien le refrain de l’immense Brigitte Fontaine : « Je suis vieille et je vous encule ! »
Coco, la senior flamboyante, le quatrième âge en guise d’étendard, qui ne comprend que trop bien ce monde désormais technologique qui la cerne et l’assaille de tous côtés, qui doit vivre avec ces gadgets qui finalement pourrissent la vie de tout un chacun, le tout au nom d’une modernité galopante.
Coco, elle a pris le parti de résister, de manifester le fait qu’elle n’est pas dupe, et ce depuis l’intrusion dans sa vie de la télévision en général et de la retransmission du tournoi de Roland-Garros en particulier.
Concocté à six mains, ce remarquable spectacle fait partie des seuls et seules en scènes les plus réussis auxquels il m’ait été donné d’assister.
Six mains ? Une autrice, Agnès Marietta, à l’écriture jubilatoire, une jeune metteure en scène bien connue des fidèles de ce site, Heidi-Eva Clavier, et une comédienne magnifique, Coco Felgeirolles.
Ces trois demoiselles ont réussi à allier le fond et la forme en terme de totale réussite, pour nous proposer une passionnante heure, à la fois drôle et émouvante, faite d’une subtile légèreté et d’une grande profondeur.
Une heure qui allie un formidable propos dramaturgique à un autre, quasi-sociologique celui-là, d’une grande actualité et d’une ô combien intense lucidité : cette dame d’un certain âge se rend compte de son « obsolescence » en tant que mère au sein de sa propre famille.
La comédienne nous accueille quasiment en dilettante, nous souhaitant la bienvenue, nous demandant si nous sommes bien installés, allant et revenant des coulisses.
Et surtout, alors que tout le monde est prêt, nous lance un peu comme une provocation : « Vous avez regardé mes photos, sur le bord de la scène ? Non ? C’est dommage ! »
Et nous de rire, de comprendre immédiatement le ton général du spectacle.
Sous couvert d’un humour ravageur, celui qu’on pourrait retrouver dans la désopilante série de bande dessinée Les vieux fourneaux, de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet, (aux éditions Dargaud), Mademoiselle Felgeirolles va nous brosser un portrait intime d’une femme par le prisme des nouvelles technologies qui successivement ont envahi sa vie, et ont provoqué un glissement de ses relations avec son entourage proche, et notamment son mari devenu ex-mari et ses enfants.
Au fond, ce que revendique Coco, c’est de pouvoir vivre une relation saine, réelle avec l’Autre, sans filtre technologique.
Ces nouvelles technologies, nous allons y être confrontés, grâce à la metteure en scène, qui a bien compris l’ambivalence du positionnement de l’héroïne.
La comédienne est sa propre régisseuse, sa propre éclairagiste, sa propre ingénieure du son (je vous laisse découvrir, le parti-pris est très judicieux et fonctionne parfaitement. Un coup de chapeau au passage à Philippe Lagrue, le « vrai » concepteur-lumières du spectacle.)
Toujours dans ce rapport d’attirance-répulsion, probablement pour tenter de rester « à la page », elle n’hésitera pas à s’emparer également d’autres machines, ce qui là encore fera fonctionner nos zygomatiques à plein régime. Là encore, vous n’en saurez pas plus. Ici, on ne spoile pas !
Coco Felgeirolles va porter haut et fort la remarquable écriture d’Agnès Marietta, dans une succession de scènes à la fois drôles et d’une puissance phénoménale.
Ce passage entre la comédienne venue acheter chez Darty une imprimante et un vendeur spécialisé restera longtemps dans ma mémoire.
Cette scène de comédie est purement et simplement magnifique.
D’autres grands moments nous attendent.
La comédienne alterne les passages très drôles, hilarants même, avec des séquences où elle nous cueille subitement pour nous bouleverser.
En un instant, elle passe avec une réelle virtuosité d’une dimension quasi-burlesque à un propos très émouvant. Lorsqu’elle vous fixe alors, de ses grands et beaux yeux, je peux vous dire que vous n’en menez pas large.
La drôlerie, la vis comica, certes, mais une certaine souffrance, également, alternent dans les propos du personnage.
Nous sommes au-delà d’un manichéisme qui serait très (trop) réducteur. L’intention générale est bien plus subtile.
Heidi-Eva Clavier a réussi à fait vivre ce personnage sous nos yeux, la faisant exister pleinement sur le plateau, héroïne seule aux prises avec des machines infernales.
Les choix des costumes successifs, la diffusion de chansons plus ou moins contemporaines, l’utilisation de différents accents, la totale maîtrise du placement et des déplacements de la comédienne, tout ceci relève d’un art que l’on dit grand.
Rien n’est gratuit, tout est cohérent, au service du propos.
Une question restera évidemment en suspens : quelle est la part de fiction et de réalité dans ce très beau portrait de femme ? C’est là aussi l’une des grandes qualités de ce seule-en-scène que de brouiller pour nous les pistes.
Ne passez surtout pas à côté de ce remarquable et brillant spectacle (je me répète mais comment faire autrement…), salué hier par une véritable ovation et des applaudissements sonores et rythmés.
Autrice Agnès Marietta Mise en scène Heidi-Éva CLAVIER Avec Coco FELGEIROLLES Création lumière Philippe Lagrue " Je ne veux pas me croire jeune, mais je ne veux pas que la société m'ôte, en...
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