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La grande magie

© Photo Y.P. -

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Valérie Dashwood - © Photo Y.P. -

Valérie Dashwood - © Photo Y.P. -

La proposition. L’exécution. Le prestige.
Voici quelles sont les trois phases immuables d’un tour de grande prestidigitation.

Emmanuel Demarcy-Mota a bien intégré cet axiome de base en nous embarquant dans le monde d’illusion d’Edouardo de Philippo.

Oui, avec cette à la fois sombre et brillante adaptation, onirique et pleine de chausse-trappes, le patron du théâtre de la Ville nous joue un bon tour : nous allons douter, nous allons croire à l’incroyable et nous allons être amenés à nous poser beaucoup de questions.

Douter du monde, douter de la réalité, douter de soi, voici ce qu’elle nous propose, cette pièce du grand dramaturge italien.
Au fond, De Philippo nous met en garde et nous avertit de la duplicité de ce que nous pensons être vrai ou faux : que sommes-nous prêts à admettre, à quoi sommes nous disposés à accepter ?
Notre libre-arbitre est-il si libre que cela ?

Avec le postulat émis par l’auteur en personne : et si la vie n’était qu’un jeu ayant l’illusion pour moteur principal ?

Bienvenue à l’hôtel Métropole, où les clients en villégiature s’ennuient ferme.
Survient le professeur Otto Marvuglia, le célèbre illusionniste.

A cette occasion, et pour un peu d’argent, un client de l’hôtel, Calogero, propose au prestidigitateur de réaliser un tour exceptionnel.
Reprenons les trois phases :
- La proposition : il s’agira de le faire disparaître grâce à une grande boîte.
- L’exécution : l’homme intègre la boîte.
- Le prestige : justement, il n’y aura pas de prestige, qui consisterait à le faire réapparaître. Ici, Calogero a demandé au magicien de le faire disparaître pour de bon, afin de lui faire quitter sa femme et de pouvoir rejoindre sa maîtresse.

Le professeur Marvuglia n’aura de cesse de persuader l’épouse abandonnée que son mari est désormais contenu dans une petite boîte qu’elle peut tenir dans les deux mains.
Durant de nombreuses années, il va l’amener à s’interroger sur sa perception de la réalité et du temps.
Bien entendu, ces interrogations, nous les reprenons à notre compte.

Avec ce spectacle de théâtre dans le théâtre, Emmanuel Demarcy-Mota a subtilement mis en scène ce monde d’illusion au moyen de parti-pris tous plus réussis les uns que les autres.

Le premier parti-pris sera bien entendu la magie qui sera omniprésente.
Ici, des tours seront exécutés, les comédiens ayant reçu le renfort du magicien Hugues Protat.
Oui, les fleurs vont apparaître, des personnages vont s’évanouir (c’est parfois bluffant…), et nous allons pénétrer réellement dans les coulisses du personnage principal.

Il y aura quelque chose de cinématographique dans tout cela. Nous ne sommes pas très loin de l’esthétique de ces films comme Bucarest Hôtel, avec leurs grooms en uniforme violet.
Cheek to cheek est diffusé, un peu comme chez Fred Astaire...

A ce titre cinématographique, le metteur en scène s’est inspiré également du film très réussi de Christopher Nolan, Le prestige (justement…), qui nous raconte l’histoire de deux magiciens dont l’un a mis au point une hallucinante illusion.

Visuellement d’ailleurs, un décor d’un acte de la pièce sera très proche de l’atelier scientifique du personnage de Nikola Tesla, qui dans le film est au passage interprété par David Bowie…

Il est à noter que Nolan a dû lui en revanche s’inspirer de la scène des canaris de De Filippo, puisqu’il la reprend pratiquement à l’identique dans son film. (je n’en dis pas plus…)
Quand des passerelles d’illusion s’établissent entre les deux media artistiques.

Emmanuel Demarcy-Mota va nous mystifier lui aussi, puisqu’il n’a pas hésité à inverser purement et simplement la proposition : dans le texte, c’est l’épouse qui soudoie le magicien pour la faire disparaître.
Un moyen de nous faire douter de nos certitudes.
La proposition tient parfaitement la route.

Le moyens scénographiques sont eux aussi générateurs de bien des incertitudes et de doutes face à la réalité.
Des rideaux de tulle, des projections video de motifs un peu psychédéliques, comme si l’on voulait nous hypnotiser.
Emmanuel Demarcy-Mota est parvenu à créer de très belles images, c’est en effet un spectacle également très réussi sur le plan de la forme.

Le temps qui passe, qui fuit, qui fait illusion : le syndrome de la tournette a frappé à très bon escient le scénographe-metteur en scène. A vous de découvrir.

Et puis les comédiennes et les comédiens.
Remarquables !

Avec en tête de distribution le couple Serge Maggiani (Le professeur-magicien) et Valérie Dashwood qui va camper une bouleversante « Calogero-Calogera ».
Lui joue la duperie avec un réel bonheur, il nous fait bien rire. Les scènes avec Sandra Faure qui joue sa Zaira de femme, ses scènes sont très réussies.

Valérie Dashwood interprète le doute, le désespoir avec beaucoup de force et de subtilité mélangées.
On éprouve beaucoup d’empathie pour son personnage.
Sa prestation scénique restera dans bien des mémoires. on en reparle en fin de saison...
Jauris Casanova est le mari disparu. Le comédien est parfait d'ambiguïté et de mystère....

Le reste de la troupe du Théâtre de la Ville est à l’avenant, avec des comédiennes et des comédiens très investis, dirigés qu’ils sont de façon millimétrée, avec la science et l'art du plateau qu'on connaît à EDM...

Il me faut tirer un coup de chapeau à Christophe Lemaire et Yves Collet qui signent de magnifiques lumières, à la fois éclatantes et très douces. Un autre grande réussite.

On sort du Théâtre de la Ville avec peut-être un peu moins de certitudes sur notre propre condition, en ayant en tout cas celle d’avoir passé un magnifique et passionnant moment.

Je vous conseille très vivement ce spectacle de cette fin d’année. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas !
Il n'y a pas que la magie de Noël dans la vie, il y a l'autre, la vraie, la grande.

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