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Penthésilé·e·s - Amazonomachie

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Amazones antiques, féministes contemporaines, même combat ?

Voilà la question que soumettent à notre sagacité l’autrice Marie Dilasser et la metteure en scène Laëtitia Guédon, dans le cadre de ce spectacle dont le texte fut une commande de la compagnie 0,10, et créé à Avignon l’an passé.
Et si les Amazones étaient déjà des féministes en puissance ?

Les Amazones, nous allons les rencontrer, et en particulier leur reine, Penthésilée.
Il n’aura échappé à personne l’utilisation par Marie Dilasser de l’écriture inclusive, avec ses points médians.
Ici, Penthésilé·e·s aura plusieurs visages, plusieurs corps, plusieurs voix.

Ici, la question du genre sera finalement secondaire.

Laëtitia Guédon va dresser et montrer un·s portrait·s magnifique·s de cette mythique femme guerrière, dans un spectacle remarquable, à l’époustouflante beauté formelle.
Ce faisant, elle interrogera le rapport qu’ont les femmes au pouvoir, celui qu’elle doivent conquérir, celui qu’elles reçoivent, celui qu’on leur conteste, celui qu’il faut garder en se battant.

Cette reine, on la connaît bien, notamment par la vision qu’en a eu Henrich Von Kleist, dans sa pièce éponyme, publiée en 1808 et créée en 1876.


Penthésilée, une combattante impitoyable envers la gent masculine, et qui semait la mort devant Troie assiégée, dans de fulgurantes et implacables amazonomachies.
Entourée de douze de ses sœurs en armes, elle finira par trouver la mort lors d’un ultime combat contre le héros Achille.

On connaît bien le travail de Mademoiselle Guédon, qui mélange différentes disciplines artistiques dans ses spectacles.
Ici encore, au théâtre se mêleront la danse, le chant, la video, et ce dans une nécessaire complémentarité de tous les instants.

Nous voici dans un lieu étrange. Un lieu féminin, un lieu à-priori défendu aux hommes.
Un hammam, un gynécée ? En tout cas un sanctuaire mystérieux.
Une femme de noir vêtue pénètre lentement, hiératiquement dans ce lieu presque sacré, inviolable, dans un contre-jour très faible, pour s’installer sur une petite estrade sur laquelle brûlent de grosses bougies.
Sur le plateau, des sables et des pigments de différentes ocres confèrent une dimension organique et viscérale à la scénographie.

 

Lorry Hardel est cette majestueuse figure guerrière, elle qui nous accompagnera durant tout le spectacle en espèce d’aède antique, raconteuse et diseuse des mots.

Et puis, une autre incarnation de la reine apparaît, dans une robe blanche légère, qu’elle finira par ôter, assumant ainsi toute sa féminité.

Marie-Pascale Dubé sera cette femme libre, altière, sensuelle et sauvage, utilisant sa respiration, sa voix comme armes.
De cette voix rauque et gutturale, elle entonne un magnifique et troublant chant diphonique de gorge, de ceux que pourraient interpréter certains chamans inuits de l’Arctique canadien.

Lorry Hardel va commencer à dire le texte, et nous confronter à cette écriture puissante, flamboyante, aux longues tirades sans ponctuation qui permettent à la comédienne de s’approprier de façon très intime et personnelle les mots.

Derrière elle, un très large écran, sur lequel sont projetées de magnifiques, mystérieuses et oniriques images.

Le voilà, Achil·le·s, empli de douleur, privé de la voix tel point que ses mots à lui seront retranscrits sur le grand écran, la parole masculine ne pénétrant pas ce lieu interdit.

C’est le danseur d’origine burkinabé Seydou Boro qui l’incarne, dans un mélange de puissance et de fragilité.
Son personnage finira par lui aussi se défaire de son habit de masculinité pour devenir une autre incarnation de Penthésilée, participant à ôter tout référence genrée à cette incarnation-là.
Dans un tableau d’une incroyable beauté, il entamera une danse flamboyante, épique, animale.

Quatre autres amazones lui donneront une magnifique réplique chorale.
Les comédiennes-chanteuses Sonia Bony, Juliette Boudet, Mathilde de Carné et Lucile Pouthier interprètent avec un grand talent de bouleversantes pièces lyriques baroques ou contemporaines, profondes et graves.

Dans un autre tableau lui aussi bouleversant, nous découvrons une pieta, dans laquelle les quatre figures féminines évoquent une multiple mater dolorosa.

Et puis, dans une adresse universelle, Lorry Hardel nous dira les mots au futur de Marie Dilasser, des mots destinés aux futures amazones, aux futures sœurs en humanité.
Il arrivera un temps où les questions évoquées ne se poseront plus.

« CE NE SERA PAS UNE NOUVELLE PAGE

Une table rase

Pas une révolution

CE SERA UNE TRANSFORMATION NECESSAIRE

VITALE

CE SERA. »

Vous, vous découvrirez à La tempête ce spectacle poignant, d’une beauté sidérante, dans lequel le fond le dispute à la forme en matière de totale réussite.
Un spectacle  ne pas manquer.
Läetitia Guédon nous prouve une nouvelle fois, s’il le fallait encore, la place prépondérante qu’elle occupe au sein de notre théâtre contemporain.

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