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Adagio maladie

© Photo Y.P. -

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Mademoiselle, l’addiction, s’il vous plaît !

Oui, l’addiction, l’assuétude. La maladie.

Ne jamais l’oublier : la dépendance à l’alcool est une maladie.

« Toute maladie a sa noblesse, la vôtre autant qu’une autre », nous dit Anne Sultan qui a écrit ce captivant monologue pour deux corps.

L’adagio, une indication de mouvement musical, entre lento (lentement) et andante (en marchant).

Un adagio, c’est un trajet, donc. Avant tout.

Ici, ce sera le cheminement de cette maladie qu’est l’alcoolisme en général, et l’alcoolisme d’une femme en particulier. Une femme qui boit.

Des premiers symptômes à la capitulation de la dépendance. Parce que ce trajet, cette route, c’est avant tout un combat, une guerre.

L’auteure de ce remarquable texte va nous disséquer au moyen d’un scalpel des plus acérés ainsi qu’une écriture on ne peut plus incisive et tranchante, un moment très particulier de vie, psychologique et physique.

Les deux dimensions seront intimement liées.

Cette écriture passionnante ne nous laissera aucun répit, ce récit fait de mots on ne peut plus réalistes et évocateurs va à la fois nous captiver et nous édifier, au sens premier du terme.

Parce que, d’une façon ou d’une autre, ce qui nous est raconté est bien évidemment arrivé. On ne peut décrire aussi précisément ce qui est raconté sans avoir côtoyé ce cheminement alcoolisé-là.

Les mots seront mis bout à bout, souvent avec une grammaire et une syntaxe propres, parfois déroutantes mais tellement nécessaires, nous faisant immanquablement ressentir les effets de la dépendance.

Les situations évoquées sont parfois tragiques, parfois drôles, les lieux souvent glaçants, les urgences, les couloirs d’hôpital….

Une voix off nous fera comprendre de l’intérieur, nous dira au nom de celles pour qui c’est arrivé la dimension psychologique de ce voyage intérieur.

Heidi-Eva Clavier a complètement réussi à traduire sur le plateau les tenants et les aboutissants dramaturgiques de cette pièce.

Ici, les mots vont compter, bien entendu, mais les corps auront eux aussi toute leur importance.

Melle Clavier nous propose en effet une vraie chorégraphie, à la fois délicate et féroce, douce et intense.

Elle a réalisé un très important travail, plaçant le corps au centre des parti-pris, le corps avec ses déplacements, ses hésitations, ses allers-retours, ses tremblements, sans jamais outrepasser l’exacte position du curseur.

Les corps d’une comédienne et d’une musicienne.

Lola Felouzis est cette jeune femme, ce personnage en quête de hauteur.
Melle Clavier et elle se connaissent bien, elles étaient ensemble élèves à l’Académie de la Comédie-Française.

La comédienne va nous subjuguer, à dire les mots de l’auteure, à les mettre en images et en gestes.

Il est impossible de la lâcher, tellement la plus grande des vérités émane de ce qu’elle nous dit et nous montre.
Pas de grands effets, pas de « gadgets » scénographiques à la mode.

Non, ici, il est question de dire un texte, de nous faire certes comprendre le déroulé de ces cinq années en question, mais également de nous confronter subtilement au fait que cette addiction n’arrive pas qu’aux autres.
Lola Felouzis, grave et légère à la fois, interprète ce personnage avec beaucoup de conviction et d’engagement.


Elle n’est donc pas seule, puisque le plus souvent à jardin, Marie Tournemouly interprète au violoncelle ses compositions.

Le duo va fonctionner à la perfection.

Les notes et les mots vont se succéder ou bien se superposer tout naturellement, avec justesse et propos.

L’adagio maladie-mélodie sera également musical.

Melle Tournemouly est une excellente instrumentiste. Ses créations, à l’archet ou en pizzicati, et ce, quels que soient les registres, ses créations sont elles aussi passionnantes et contribuent à illustrer fort joliment le propos général.

J’ai beaucoup apprécié les cordes frottées très près du chevalet, produisant des sons un peu distordus et criards, en total accord avec certains passages plus tragiques.

La violoncelliste se déplacera elle-aussi pour donner une dimension très humaine à son instrument.

Là encore, le parti-pris est très judicieux. Et je n’en dis pas plus.

Il me faut également mentionner les délicates et subtiles lumières de Philippe Lagrue, qui mit en scène naguère Melle Clavier dans une magnifique version des Cuisinières de Carlo Goldoni.

Cette entreprise artistique très réussie, cet Adagio maladie est le premier volet du triptyque Débordées consacré à des parcours féminins. C'est un très beau moment de théâtre.

Je ne doute pas un seul instant que ces trois créations d’un soir chacune au théâtre El Duende seront prochainement reprises ici ou là.

Nous en reparlerons en temps voulu.

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