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Moi aussi, j'ai vécu

Moi aussi, j'ai vécu

Celui qu’il aime prendra le train…

Celui qu’Hélios Azoulay a un jour eu la grande surprise de rencontrer dans un train, alors qu’il allait aux toilettes.

La surprise, oui, véritablement, car celui qu’il rencontre n’est autre que son père.
Un père décédé depuis trente-cinq ans.

Vous avouerez que comme rencontre, celle-ci n’est pas banale.

Il est des histoires qu’un beau jour, un homme qui fut naguère petit garçon ressent le besoin viscéral de raconter.

De raconter aux autres, mais peut-être et surtout de se raconter à soi-même.

C’est le cas d’Hélios Azoulay, qui, grâce à l’adaptation de son roman éponyme, nous dit cette impérieuse nécessité de nous faire partager son enfance, quasiment confisquée par le destin.

Dans ce titre, en effet, « Moi aussi, j’ai vécu », dans ces cinq mots, les deux plus importants sont « Moi aussi ».

Un pronom personnel et un adverbe. Lourds de sens. Très lourds.

Dire, redire cette impression d’avoir existé, malgré le décès de deux hommes de la famille, malgré la perte de deux êtres chers qui vous quittent avant d’avoir terminé la transmission.

Nul ne guérit de son enfance, chantait naguère Jean Ferrat.

Ce spectacle résonne comme un devoir de mémoire, ressenti à un moment où un fils devient plus âgé que son papa au moment de son départ définitif.

Peut-être même une catharsis personnelle. Ecrire et dire pour exorciser et peut-être guérir, ou tenter de guérir le mieux possible.

Le noir tombe sur la salle Jean-Topor.
Le son doux et velouté d’une clarinette se lève dans l’obscurité, des volutes musicales évoquant l’orient, le soleil, la nostalgie.

Il arrive du fond de la salle, Hélios Azoulay, avec le smoking de mariage de son pépé, un costume aux manches trop courtes, à la doublure du dos décousue.

Jouant de la clarinette Mib, elle aussi ayant appartenu à son grand-père, musicien de jazz contrarié par une « pleureuse », apprendrons-nous, en l’occurrence son épouse.

Un instrument assez rare, que l’auteur-comédien a d'ailleurs eu du mal à faire restaurer.

Sous le coude, son doudou d’enfant.

Il se plante à jardin derrière une servante de théâtre. Une petite lumière lourde de sens.

A ses cotés, un meuble lui aussi très signifiant : un confident, un fauteuil double où deux sièges se font face.

Il va nous dire ses mots.

Dès les premiers, il nous attire dans ses rêts narratifs pour ne plus nous lâcher.

Ce qu’il nous raconte, et la façon dont il le raconte va nous envoûter.

D’une voix douce et feutrée, dans un premier temps, à l’image de son instrument de prédilection couleur d’ébène.

L’écriture est ciselée, incisive et très évocatrice.

Nous les avons devant nous ce père, cet hôtel de Mumbaï, ce couloir d’hôpital, nous vivons ces souvenirs avec celui qui nous les narre, nous voyons purement et simplement ce grand-père si important.

Bien souvent, Hélios Azoulay nous bouleverse, tellement ce besoin de se souvenir est important, tellement cette volonté d’exprimer son existence enfantine propre est vitale.

Ce hurlement « Moi aussi, j’ai vécu ! », sur le Pont des Arts, est déchirant !

Steve Suissa, qui a lu le livre de son comédien dès sa parution est à la mise en scène.

Suissa, qui est à la direction d’acteur ce que l’anche est à la clarinette : un élément essentiel, que l’on ne voit pas, mais à qui l’on doit une grande partie de la réussite du processus artistique.

Suissa qui sait placer comme personne un acteur sur plateau, et surtout, qui sait lui faire occuper l’espace. Tout l’espace.

Ici, sa mise en scène repose en grande partie sur la collaboration avec Jacques Rouveyrollis, l’immense créateur-lumières que l’on sait.

Différents espaces seront matérialisés par des projecteurs à découpe ou encore des modèles à gobos.

Le comédien se déplace au fur et à mesure que les espaces apparaissent.

Le procédé est très judicieux et fonctionne à la perfection.

Les souvenirs se succèdent, l’émotion va croissant, et l’on comprend bien cette nécessité de nous faire partager tout ça.

Un magnifique solo vient conclure ce spectacle, avec un retour derrière la servante.
La musique de l’important compositeur qu’est Hélios Azoulay m’a fait frissonner, notamment avec un growl merveilleux, un mélange de voix et de musique, témoignant s’il en était encore besoin de la virtuosité du musicien.

Hélios Azoulay, un homme qui arrive là où l’on ne l’attend pas.

Musicien, compositeur, directeur musical de l’Ensemble de Musique Incidentale, personnalité souvent assez extravertie-extravagante et passionnante, il ajoute ici une nouvelle corde à son arc qui en compte déjà beaucoup.

Cette plongée dans des souvenirs enfantins est à la fois passionnante et bouleversante.

Une évocation magistrale d’une enfance non pas volée, mais en tout cas d’un moment d’une jeune vie que celui devenu adulte revendique avoir vécu.

Lui aussi !

Il faut aller voir et écouter Hélios Azoulay !

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