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Le silence de Molière

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Le silence de la fille !
Et quel silence ! Et quelle fille !

Bientôt trois-cent-cinquante-sept ans, qu’elle se tait, Esprit-Madeleine Poquelin, ci-devant fille de M. Molière et d’Armande Béjart.

Pour la première fois, et qui plus est en public, elle va prendre la parole, et dire « sa » vérité.
Cette prise de parole est possible grâce dans un premier temps au texte éponyme de Giovanni Macchia, publié en 1985, dans lequel il imagine une « interview » courant 1705, menée par un jeune homme aspirant à devenir auteur de théâtre, grand admirateur de Molière, face à Melle Poquelin.

Des questions, toutes légitimes, toutes judicieuses, et des réponses pertinentes et totalement justes historiquement, les unes comme les autres mises en mots par ce grand spécialiste transalpin de littérature française.

Danièle Lebrun et Anne Kessler, qui la met en scène, ont eu l’excellente idée de porter ce texte sur les planches.

Année Molière oblige, certes, mais également parce qu’elles sont toutes les deux en quelque sorte « héritières » d’une dynastie, peut-être pas sanguine, mais en tout cas théâtrale du « clan » Poquelin-Béjart.
Au cours de cette année-hommage au Patron, on joue dans sa maison ses pièces, certes, mais également des textes donnant différents éclairages sur l’homme et son œuvre.

Ce faisant, Melles Lebrun et Kessler vont nous faire découvrir un personnage extraordinaire, au sens premier du terme.
Une femme de silence, née de deux parents dont le métier était de parler et de jouer la comédie.
Quel paradoxe !

Une femme qui toute petite, et surtout un peu plus tard, va être confrontée à la méchanceté, la jalousie, notamment à cause des rumeurs concernant sa possible naissance d’un mariage incestueux.
(A ce propos, j’ouvre une petite parenthèse pour vous conseiller vivement d’écouter la chronique de Thomas V.D.B. sur France Inter, chronique intitulée « Cancel Molière ».)

Esprit-Madeleine, par la plume de Macchia, va nous dire ses rapports (ou ses non-rapports) avec son père, dans une terrible ambivalence d’admiration et de détestation, ainsi que ceux avec sa mère, pas beaucoup plus cordiaux…


Elle va nous confier sa profonde amertume (et c’est un euphémisme) concernant la représentation de la famille que donne son père aux spectateurs, dans ses pièces.


Elle va nous rappeler que le rôle de Louison dans le Malade imaginaire avait écrit pour elle, et qu’au grand dam de l’illustre paternel, elle ne put prononcer un seul mot sur scène.

Elle va nous avouer que sa scène à elle, c’est le couvent, dans lequel elle avait choisi de devenir pensionnaire.

Dans cette confession d’une heure, on ne peut s’empêcher de trouver une connotation psychanalytique dans tout ce que que nous allons entendre.

Une banquette noire. Un grand miroir.
Elle arrive à jardin, dans une magnifique robe sombre, rehaussée d’un grand col de dentelle précieuse couleur crème.
La perruque imposante est assortie.

Et puis la voix. Et les magnifiques yeux bleus.
La grande, l’immense Danièle Lebrun.


Immédiatement, elle va nous subjuguer, nous attirer dans ses rêts pour ne plus nous lâcher.
Et ce, dans une sidérante entreprise de vérité.
Il est absolument impossible de ne pas se formuler à un moment ou à un autre la remarque suivante : «Mais ce n’est pas possible, elle y était, elle a assisté à ce qu’elle nous raconte, elle revient du passé ! »

La comédienne est sidérante de vérité, comme toujours.
On croit immédiatement à son personnage et à ce qu’elle nous révèle. Elle ne joue pas, elle est purement et simplement Esprit-Madeleine.
Encore une fois, tout élève-comédien devrait assister à ce spectacle, et devrait venir la voir interpréter ce personnage à la fois complexe et passionnant.

 

Tour à tour nostalgique, amère, drôle, sombre, bouleversante, Melle Lebrun utilise son immense palette pour faire siens les mots de l’auteur.
Elle parvient admirablement à nous camper cette femme aux différentes époques de sa vie, petite fille, adolescente, jeune femme…


Anne Kessler a complètement repris le principe de l’interview. Ce sont quelques spectateurs du public qui vont se charger de lire les questions préalablement écrites sur un petit carton.


Le judicieux procédé fonctionne à la perfection. Dès que le micro est mis à disposition, les interrogations se font entendre.
On comprend bien entendu que la metteure en scène a refusé la solution de facilité qui aurait consisté à enregistrer une voix off et à la diffuser dans les excellentes enceintes LAcoustics du Studio Théâtre.

Il ressort de cette démarche comportant une (légère) prise de risque un sentiment accru de vérité, de naturel.

Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les belles lumières d’Eric Dumas. Il est toujours délicat d’éclairer un plateau comportant de grands miroirs.

Au final, on se dit que ce spectacle est bien trop court. Je serais bien resté quant à moi trois fois plus longtemps à écouter pratiquement bouche bée Melle Lebrun.
Il faut impérativement assister à cette entreprise dramaturgique totalement réussie, passionnante tant sur le fond que sur la forme.
Un véritable moment de grâce.

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