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Anne-Marie la beauté

© Photo Y.P.-

© Photo Y.P.-

Quand Anne-Marie Marcon et André la beauté nous disent les mots de Yasmina Reza.

Dans son premier monologue théâtral paru en janvier 2020 chez Flammarion, l’écrivaine prix Renaudot 2016 nous présente un personnage à la fois haut en couleurs et attendrissant.

Anne-Marie Mille désormais âgée était actrice. Naguère.
Une actrice qui n’a jamais vraiment connu une gloire étincelante, abonnée aux seconds voire troisièmes rôles et plus si pas d’affinités, à la différence de sa meilleure amie, Gisèle Fayolle, son amie des débuts. Sa seule amie.


Frasques, amants qui « tournicotaient comme des mouches », mère à 23 ans d’une fille dont elle ne voulait pas connaître le père, parce que de toute façon « il me fera chier », la Gisèle était une sacrée nature !

Mais voilà, elle vient de mourir.
Anne-Marie, est encore plus seule que d’habitude. Elle donne une interview.

Dans cette délicate ode au théâtre, l’auteure-metteure en scène va faire se raconter Anne-Marie, qui va nous parler de son enfance, à Saint-Sourd, dans le Nord, de la chambre des Rondeaux, du théâtre de Clichy, des personnages que Gisèle et elle-même ont interprétés.
Elle va nous décrire également l’enterrement de son amie.

Un monologue, donc, émouvant et drôle, délicat et féroce, d’un personnage dont on sent immédiatement l’amour que lui porte Yasmina Reza.

Une femme jouée par un homme.
Une actrice interprétée par un comédien.

Deux principales raisons à cela.
Tout d’abord ces deux-là se connaissent bien.
C’est la cinquième fois que Yasmina Reza demande à André Marcon de participer à la création de l’une de ses pièces : Une pièce espagnole, (mise en scène de Luc Bondy), Dans le luge d’Arthur Schopenhauer (Frédéric Bélier Garcia), Le Dieu du Carnage, et Comment vous racontez la partie, ces deux dernières étant mises en scène par l’auteure.

Anne-Marie la beauté est d’ailleurs dédiée au comédien.

Deuxième raison, Yasmina Reza n’imaginait pas « Anne-Marie Mille incarnée par une actrice qui prêterait son visage et, qu’on le veuille ou non du fait de l’âge, son propre destin. »

Et puis, pour elle, le travestissement lui a donné « de l’élan et une liberté que je n’aurai pas eue autrement. »

Et moi, j’en rajoute une troisième : André Marcon peut tout faire !

Cette fois-ci encore, l’extra-ordinaire comédien va nous prodiguer une véritable leçon de théâtre.
De façon très douce, avec un rythme et une diction posés, avec parfois des envolées plus musclées, son personnage va raconter, décrire, va nous dire le vécu de cette femme de l’ombre, aux côtés d’une amie plus brillante, plus extravertie qu’elle.

Il est parfaitement parvenu à restituer l’humour du texte, le côté parfois « vachard » d’Anne-Marie, qui ne mâche pas ses mots.
Sa vérité, elle l’a dit sans autre forme de procès, parfois crûment.

De grands moments très drôles nous attendent, comme par exemple la narration de l’enterrement.
Des scènes plus émouvantes

Nous sommes suspendus à ses dires, à ce qu’iel nous raconte de façon passionnante.

« J’aimais dire les mots », confie le personnage. Il est évidement que pour M. Marcon, cet amour des mots est le même. Mais ça, nous le savons depuis fort longtemps.

Sur les murs gris de la scénographie que l’on doit à Emmanuel Clolus, viennent s’afficher par moments des peinture de l’artiste suédois Örjan Wikström. Des silhouettes noires sans visage, comme un autre hommage aux sans-grades du théâtre.

Laurent Durupt a composé une musique au piano d’après Bach et Brahms, qui souligne parfaitement le côté un peu nostalgique du propos.

Durant cette heure et quart, à côté d’une méridienne, Anne-Marie-André va s’habiller, tout en parlant.
A quelle occasion s’apprête-t-elle, troquant ses pantoufles vénitiennes vermillon pour des Salomé grisâtres, avant de disparaître par l’ouverture noire au lointain ?
Un départ définitif de la grande scène du monde ?

Au préalable, le personnage aura néanmoins redit le noms de ses illustres camarades, à jamais inconnus théâtreux.
Comme un dernier hommage.

Ne manquez pas cette reprise de cette pièce, créée en Mars 2020, et arrêtée pour les raisons sanitaires que l’on sait.
Une ode au théâtre, un cri d’amour à un personnage et à un comédien.

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