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La légende du Saint Buveur

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Qui a bugle boira !

Paris. 1939.
Andreas Kartak nous attend sur le plateau du Petit Montparnasse. En costume élimé, trop grand pour lui, un chapeau informe sur le chef, il joue du bugle.
Une complainte, une mélopée triste.

Andreas le sans-abri, l'exclu, le SDF qui vit sous les ponts de la capitale.
La ville très peu lumière pour lui, qu'il a rejoint après avoir dû quitter sa Silésie natale.

Andreas l'alcoolique, le pilier de bistro, l'accro à l'apéritif anisé... Aussi. Surtout.
Lui qui ne possède rien, va se voir prêter 200 francs, à charge pour lui de rembourser la somme au prêtre de l'église Sainte Marie des Batignolles.

Car Andreas est un homme d'honneur.

C'est cet « anti-héros » qu'a imaginé l'auteur Joseph Roth, en... 1939. A Paris.
Cet Andreas, il n'a pas eu à aller chercher très loin.
L'auteur est lui aussi alcoolique, lui aussi expatrié. Le IIIIème Reich brûlait ses livres...
Joseph Roth, atteint de délirium tremens mourra la même année. Cette légende est sa dernière œuvre.

En adaptant pour la scène cette courte nouvelle d'une trentaine de pages, Christophe Malavoy incarne ce personnage en quête de rédemption.
Car c'est bien de cela dont il s'agit : peut-on trouver la rédemption et comment ?

Peut-on être touché par la Grâce, même après avoir commis un meurtre ?

Comment faire en sorte de pouvoir retrouver l'envie de se regarder dans un miroir ?
Andreas avait peur des miroirs, écrit Roth, « car il n'était pas bon de constater de ses propres yeux sa propre déchéance. Et tant que l'on n'y était pas obligé, cela revenait à peu de chose près à n'avoir pas de visage du tout ou à avoir celui d'avant la déchéance. »

Mais quel conteur que ce Christophe Malavoy !
Quel raconteur, qui nous attrape dès ses premières notes et ses premiers mots !

Il va nous faire aimer ce type, nous faire compatir à sa douleur et nous faire comprendre le rôle de l'expédient alcoolisé qui lui permet de tenir.

Cet homme meurtri, qui a commis l'irréparable pour l'amour d'une femme, nous l'avons devant nous, attachant, émouvant, drôle aussi, avec parfois un petit côté Estragon, ou encore Charlie Chaplin.

M. Malavoy sait comme personne nous captiver.

Sous nos yeux, les personnages prennent forme, prennent vie.
Le comédien incarne en effet tous les personnages, en plus du narrateur et du poivrot magnifique.

En changeant de gestuelle, de voix (ah ! Les voix de tête pour certaines dames), en prenant tel ou tel accent, il nous fait découvrir les péripéties de cette quête avant tout spirituelle.
Il est alors impossible de le lâcher.

Dans la scénographie de Francis Guerrier, il s'est lui-même mis en scène devant et derrière un rideau de multiples et longs fils blancs.
Au devant de la scène, une chaise et une table à jardin, une sorte de banquette en bois assortie.

Ce sont les magnifiques lumières de Maurice Giraud qui sculptent très précisément et de très belle façon l'espace.

Le comédien ne fera pas que jouer avec les mots.
Il chantera, et jouera du fameux bugle.

Il en jouera même très bien, alternant les forte et les pianissimi avec un très joli son velouté (le timbre de l'instrument, plus grave que celui de la trompette, prend toute son ampleur et colle parfaitement avec cette histoire triste).

Souvent pour terminer une phrase, le comédien-musicien joue un très long et très beau vibrato.
J'ai particulièrement apprécié ses versions de Syracuse et du sublime Manha de Carnaval de Luiz Bonfa.

Il va beaucoup nous émouvoir, en interprétant de façon intense, pudique, sans pathos de mauvais aloi la fin de la nouvelle.

Voici donc un très intense et très fin moment de théâtre.
D'un texte assez peu connu, le comédien tire un spectacle d'une grande universalité, faisant ressortir l'humanité de ce clochard brisé.
Un homme à la recherche de son salut.


Si Andréas avale à vitesse grand V ses verres de Pernod, nous, nous buvons sans modération aucune les paroles de Christophe Malavoy.

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