17 Juin 2019
Il voyage en solitaire (ou presque), dans le chef-d'œuvre de Monsieur Racine.
Lui, c'est Philippe Lebas, qui nous invite à assister à un fascinant projet d'acteur.
Son propos est d'interpréter tous les personnages de cette tragédie, de façon à ce que cette solitude forcée de l'acteur, le comédien face à lui-même, lui permette de mettre en valeur le fabuleux jeu de miroir auquel sont confrontés tous les personnages de la pièce.
Alors, bien entendu, il me faut immédiatement évacuer le côté « performance » de l'entreprise.
Oui, s'envoyer en pratiquement deux heures presque mille six cents alexandrins, c'est un véritable tour de force.
Une fois ceci dit et posé, il faut aller au delà de cette gageure réussie haut la main.
Ici, cette solitude scénique nous permet paradoxalement de mieux percevoir l'intelligence, la finesse et la profondeur du texte racinien.
En jouant tous les personnages, Philippe Bas transforme cette pièce en véritable poème épique. Il joue véritablement (presque) tout le texte, avec toutes ses intentions, ses contraintes, ses audaces, ses fulgurances, ses ruptures, ses émotions.
Devant nous, nous aurons une galerie de portraits très caractéristiques, que le comédien campe avec brio grâce aux inflexions de sa voix, grâce à sa gestuelle, et grâce également à un accessoire rouge sang.
Un morceau de tissu qui de drap originel (ou de linceul final ?) servira d'écharpe, de manteau, de toge, de cape, de cache-col, de baudrier, de lyre, de symbole du pouvoir, et j'en passe...
Oui, se succéderont devant nous tous les ingrédients humains de cette histoire d'un type qui s'émancipe pour devenir le tyran que l'on sait, assassinant au passage et pour ce faire son demi-frère et en se débarrassant de tous ceux qui le gênent : la terrible mère abusive, le héros qu'on prive de son dû, le monstre, le bon gouverneur, le soldat honnête, la fiancée éplorée fuyant le monde et peut-être la raison...
Philippe Bas est donc presque seul.
Sur scène, la metteure en scène Christine Joly « veille au grain », le texte à la main, assise sur une chaise haute et changeant de place à chaque acte.
Comme une présence maternelle ambivalente.
C'est par ailleurs elle qui au cours de l'acte IV dira la très longue tirade d'Agrippine, s'emparant du manteau pourpre. Parce que la rencontre explosive du duo mère-fils est inévitable.
Il y a autre chose de fascinant dans cette démarche artistique peu commune.
Il me paît à penser qu'un autre homme a réussi ce pari fou de dire tout Britannicus : Racine lui-même !
Comment ne pas imaginer que l'auteur a passé au gueuloir tous les alexandrins de tous les caractères de sa pièce ?
C'est assurément cette phase orale qui a décidé de l'existence ou non de tel ou tel vers, de telle ou telle rime, de telle ou telle orientation du sens.
Ce sont sans doute en exprimant haut et fort les sonorités des mots, des phrases, des vers et de la langue que l'auteur âgé de trente ans « seulement » parvient à fixer ses idées.
C'est certainement cette oralisation qui a indubitablement fait que « la mayonnaise racinienne » a pu prendre et devienne le chef-d'œuvre que l'on sait.
Phillippe Lebas nous donne un passionnant cours de comédie.
Nous savons en permanence quel personnage se tient devant nous. (Trois ou quatre fois seulement Christine Joly nous précise lors de son entrée l'identité d'un personnage, que sans contexte nous ne parviendrions pas à identifier.)
Et puis il réussit parfaitement à appréhender la principale problématique de la pièce, à savoir la fourberie permanente du vrai héros de la pièce, Néron.
Nous savons très bien grâce à l'interprétation du comédien que tout le discours de cet homme est un tissu de dissimulation, d'ambiguïté et de tromperie.
Un professionnel de l'embrouille, on vous dit !
Ce Britannicus restera longtemps dans ma mémoire.
Cette version, cette vision d'un chef d'œuvre au cœur du texte se déguste et se savoure intensément !
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