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Hors la loi

© Photo Y.P. -

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« C'était mon histoire, mais c'est devenu l'Histoire. »
Voilà ce qu'elle nous dit, l'héroïne de cette histoire-là.

Voici le constat que tire à la fin du spectacle le personnage de Marie-Claire Chevalier.


Cette histoire vraie, c'est l'histoire d'un avortement illégal d'une adolescente violée à l'âge de 16 ans, qui au début des années 1970, en France, va entrer en résonance avec l'absurdité d'une loi masculine de 1920, durcie par le régime de Vichy, une loi privant les femmes du droit (qu'il faut à tout prix maintenir inaliénable) de disposer de leur corps, du droit fondamental de ne pas vouloir donner la vie et ce, pour quelque raison que ce soit.


Une histoire qui va déboucher en 1972 sur le célèbre procès de Bobigny, juste après « Le manifeste des 343 Salopes ».

Un procès acquittant quatre femmes, Marie-Claire et sa mère, leur voisine et la dame ayant pratiqué l'avortement clandestin.

Une nouvelle fois, décidément ça devient une habitude, Pauline Bureau tire de cet important moment sociétal et judiciaire, un remarquable, bouleversant et passionnant spectacle.
Une nouvelle fois, presque en sociologue et en anthropologue, Melle Bureau se sert de son art de l'écriture et de la dramaturgie pour nous rappeler ce qui a été, pour nous dire ce qui s'est passé, pour nous rendre vivant ce qu'il ne faut surtout pas oublier.

Et ce à un tel point de réussite qu'on oublie très vite que nous sommes au théâtre.
C'est d'ailleurs assez troublant pour le critique, qui doit absolument ne pas oublier que se joue devant lui une pièce.
Ils sont rares, finalement, ces instants où une réalité vécue vous explose à la figure, où vous n'avez plus l'impression que vous avez en face de vous des comédiens mis en scène, qui jouent un rôle.
Ici, c'est pleinement le cas.

La pièce va être principalement scindée en deux « actes ».
Dans le premier, nous allons découvrir (ou redécouvrir) l'histoire en question.
Nous sommes dans la cuisine des Chevalier.
La metteure en scène a placé le curseur à son exact endroit. Ni trop ni trop peu.
Ici, pas de pathos larmoyant. Les faits, rien que les faits.
Elle a réussi à retrouver Marie-Claire Chevalier, âgée aujourd'hui d'une soixantaine d'années, et a pu recueillir son témoignage. Ce sont ses mots qui nous sont donnés à entendre.
Des mots vrais, des mots et des situations vécues.
C'est d'ailleurs Marie-Claire âgée qui nous présentera son personnage de 16 ans. Le procédé fonctionne parfaitement. Elle sera le narrateur de cette première partie.

Le deuxième acte sera celui du procès. C'est peut-être la partie la plus passionnante. Tout simplement parce qu'un procès en soi est un spectacle. Alors à fortiori celui-ci, dans lequel Maître Gisèle Halimi se posera en héraut du droit à l'avortement, ridiculisant à bien des égards les quatre juges hommes face aux quatre femmes accusées.

La formidable scénographie de Emmanuelle Roy, (Pauline Bureau est fidèle à son équipe), permettra de façon subtile et judicieuse le passage « en douceur » d'un lieu à un autre.
Comme dans les précédents spectacles de Melle Bureau, la vidéo de Nathalie Cabrol utilisée à très bon escient tient une place importante, les « fenêtres » ouvertes du décor permettant de multiplier les espaces, comme cette cour intérieure, ce commissariat ou encore le bureau de Me Halimi. Des images d'archives seront également diffusées.

Et puis bien entendu, les Comédiens français sont comme à l'accoutumée excellents.
La plupart d'entre eux vont jouer deux ou plusieurs rôles.

Et notamment Martine Chevallier qui va interpréter l'avortée et l'avorteuse.
Sa partition est absolument exceptionnelle. Ce qu'elle va nous donner est hallucinant.
Elle est bouleversante en Marie-Claire nous contant tout ce qu'elle a subi, avant et après le procès.
Sa Mme Bambuck (« la faiseuse d'anges ») est purement et simplement lumineuse. C'est un pur plaisir de la voir interpréter cette petite vieille, notamment lors du procès. (Elle nous fera bien rire...)
Martine Chevallier nous donne une immense leçon de comédie !

François Gillard est Me Halimi. Dans une tirade phénoménale, elle va nous dire un très large extrait de la plaidoirie. La comédienne s'adresse aux juges et au procureur de la République, les mettant face à leurs contradictions, les bravant, les ridiculisant.
Elle aussi est absolument remarquable. J'ai vibré à ses mots, à sa façon de les dire, de les marteler, de les asséner.

Le reste de la distribution est bien entendu à l'avenant.
Danièle Lebrun est la voisine et une Simone de Beauvoir « plus vraie que nature », (elle nous tirera bien des sourires également), Coralie Zahonero est une mère ô combien touchante, émouvante, bouleversante, ainsi qu'une très drôle Delphine Seyrig.

Claire de la Rüe du Can a su trouver la juste interprétation de cette jeune fille. On croit totalement à son personnage. Sans pathos de mauvais aloi, dans une absolue justesse, elle est Marie-Claire jeune.

Deux hommes sont sur le plateau.
Alexandre Pavloff est une espèce de flic des années 70 en veste de cuir, une sorte de Serpico français haut en couleurs, et puis surtout un Michel Rocard épatant. (Il emprunte sa diction et son élocution particulières que ça en devient un bonheur jubilatoire.)
Laurent Natrella sera l'autre flic, et le professeur Monod, cité à la barre. Il sera également la voix off du Président du tribunal, ce qui fait qu'il parviendra à se parler à lui-même.

Sarah Brannens et Bertrand de Roffignac complètent efficacement la distribution.

Ce spectacle est donc important.
Parce que nous sommes en présence du fond et la forme. Et que les deux sont traitées de façon remarquable, je me répète.
C'est une pièce qu'il faut aller voir, et ce pour plusieurs raisons.
Parce que c'est avant tout une pièce de théâtre magistrale, donc, que ce soit par son écriture ou sa mise en scène.
Parce qu'il ne faut pas oublier. Notamment que cette loi de 1920 est responsable d'environ 250 00 mortes, ces 250 000 femmes qui n'ont pas survécu à un avortement clandestin.
Et puis il y a une autre raison.
Il ne faut malheureusement pas croire que ce droit à l'avortement est arrivé par hasard, et surtout qu'il est fixé dans le marbre. (La triste actualité récente française et américaine le prouve...)

Ah ! Une dernière chose...
Sur le plateau, se trouve l'une des 343 Salopes, l'une de ces femmes qui ont bravé la loi, l'une de ces artistes engagées pour le droit à l'avortement.
L'une de ces héroïnes, je pèse ce substantif, qui ont fait bouger le 5 avril 1971 les lignes sociétales et judiciaires.
Merci beaucoup, Melle Lebrun !

Courez donc toutes affaires cessantes au Vieux-Colombier !
Pauline Bureau nous démontre encore s'il en était besoin qu'elle est l'une des auteures, dramaturges et metteures en scène les plus inspirées de notre scène française.

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