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Dans la solitude des champs de coton

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Dis-moi ce que tu veux, je te dirai qui tu es...
Dis-moi ce que tu vends, tu sauras qui je suis...


Un deal. Une joute.
Une lutte des mots, un affrontement verbal, un difficile combat oratoire par le biais d'un acte commercial illicite et nocturne.


Deux êtres humains se jaugent, se jugent, se jouent l'un de l'autre à l'aune d'un acte somme toute banal, l'achat-vente d'un produit illégal quelconque.


Un dealer, un client. Le second sur le territoire du premier. Comme un intrus forcé dans un espace nocturne en déliquescence.
Une zone-champ de coton urbain, une jungle moderne, un no-man's land inquiétant.


Et le désir sous-jacent, ce désir dont Koltès emplit sa pièce.


En 2016, Charles Berling a créé sa version de cet opus important de la production théâtrale de cet auteur, qu'il reprend à la Villette pour quelques jours seulement.


Face à lui, Mata Gabin.


La comédienne apparaîtra sous une sorte de passerelle, alors que l'obscurité gagne la salle et le plateau. On aperçoit également un réverbère, des enseignes au néon très fatiguées, des murs crasseux, avec une venelle centrale.
Un univers inquiétant, un endroit interdit, un lieu de tous les possibles et peut-être de tous les dangers. Mais peut-être finalement plus rassurant que les espaces intérieurs de ces deux personnages.
Le ring suburbain de l'économie souterraine. Un décor très réussi de Massimo Troncanetti.


Lui apparaîtra dans le public, sur une étroite passerelle le reliant au plateau. On ne sait d'où il a surgi.
Son costume est très fatigué, avec notamment un gros accroc sur le pantalon.


Et le combat peut commencer.
Les deux comédiens vont incarner ces deux êtres ultimes, avec une animalité à fleur de peau.
Ils bougent lentement, se présentant souvent de profil, comme des ombres mouvantes dans la pénombre.

Melle Gabin est impressionnante. Vraiment.
Dans un battle-dress aux motifs camouflage, double capuche sur la tête, (elle se découvrira progressivement), est elle ce dealer. Celle qui possède, qui vend. Celle qui se fond dans un environnement hostile.
Elle dégage une sacrée puissance, une force sauvage, une vraie animalité.
De sa voix rauque, elle dit les mots de Koltès. Elle fait beaucoup plus, elle les clame, les profère, les murmure, les hurle, parfois.

C'est elle qui porte la pièce, c'est elle qui est véritablement enthousiasmante de présence inquiétante, de charisme trouble.
Son interprétation est d'une oxymoresque sombre luminosité. La tension qu'elle fait régner est absolument magnifique.

Le mise en scène de Charles Berling est basée sur la notion d'espace, la distance qui sépare les deux personnages, une distance horizontale, ou verticale. Les deux monteront chacun leur tour sur la passerelle, surplombant l'autre, le dominant.
Lui repartira sur sa passerelle, elle n'osera pas le suivre, préférant au final rester sur son terrain.

Nous, nous resterons suspendus aux mots de Koltès, qui résonneront longtemps encore après cette heure un quart de très beau théâtre.

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