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Les terrains vagues

(c) Photo Y.P. -

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« Qui suis-je ? »
C'est par cette question qu'une voix off, dans le noir le plus total, commence à nous dire les mots.
A cette question, il faut bien entendu une réponse.
Une Raiponce.


Pauline Haudepin a entrepris avec un réel succès de transposer le célèbre conte des frères Grimm, et de nous proposer une plongée dans un univers bien à elle.


L'histoire, on la connaît. Ou on croit la connaître.
La princesse Raiponce a été cloitrée par une méchante sorcière au sommet d'une tour. Elle attend le prince charmant qui viendra la délivrer en grimpant à elle grâce à ses longs cheveux... Oui, Freud et Bettelheim se sont régalés...

Ici, le royaume sera fait de terrains vagues ensablés, encombrés de déchets, d'objets plus hétéroclites les uns que les autres. Un monde onirique en déliquescence, en quasi-décomposition. Un monde juste avant la fin du monde ?


« Il était une fois et maintenant... », nous dit Melle Haudepin.
D'une écriture à la fois puissante, imagée, poétique, avec des formules ciselées, percutantes, elle nous emmène dans cet univers duquel il s'agira principalement de s'échapper.


De l'enfermement.
Tel pourrait être le sous-titre de ce spectacle.
Enfermée dans sa chambre, une sorte de gourbi surélevé, à la paillasse dérisoire, l'héroïne nous apparaît en courte chemise de nuit immaculée, virginale, qui laisse parfois entrevoir une culotte « Petit-Bateau » assortie. Une héroïne-enfant.


Elle est surveillée de près par une espèce de créature aux yeux étranges et en robe rouge, qui la nourrit de porridge tiède.


L'épatante Marianne Deshayes est cette Raiponce-là.
La comédienne dit les mots de l'auteure avec force et conviction, avec une présence scénique qui force l'admiration. Elle est d'une stupéfiante justesse.
On croit totalement à son enfermement non seulement topographique, mais surtout à son enfermement intérieur.


Car c'est bien là tout l'enjeu de la pièce : comment s'échapper intérieurement, comment retrouver sa liberté, son libre-arbitre, comment reconquérir l'espoir et la volonté de désirer ?

 

Le Prince finira par arriver. Ce sera Lazlo, interprété par Paul Gaillard.

Il y aura également la mère de Raiponce, que joue tout en subtilité Dea Liane, une mère qui elle, n'aura de cesse de se construire une sorte d'enclos en parpaings. (Avec un petit trou, quand même, au cas où...)
Toujours l'enfermement...
Tout le contraire de sa fille...


Et puis le supposé géniteur, créateurs de substances plus ou moins hallucinogènes, un certain Sandman, comme le Mister du célèbre titre du groupe vocal féminin The Chordettes.
C'est le puissant et charismatique Genséric Coléno-Demeulenaere qui s'y colle. (Tout comme il interprète le geôlier.)

Si Pauline Haudepin manie bien joliment les mots et nous montre bien des images fortes, elle nous propose également une très intéressante mise en scène.

 

Une dramaturgie axée sur deux principaux parti-pris.


Tout d'abord, la brusquerie voire la violence des mouvements et des attitudes corporelles.

C'est un univers dans lequel la douceur et la délicatesse ne sont apparemment pas la règle.


Ici, les corps vont être mis à rude épreuve. Les comédiens vont s'empoigner, vont s'attraper, vont se pousser, se repousser, dans de vraies chorégraphies.
Tout ceci est très physique, parfois violent. (La scène de la plongée du visage dans l'évier est assez éprouvante.)


Des corps qui se rejoignent et s'étreignent également, en fonction du deuxième parti-pris : la verticalité.
La tour, évidemment, sur laquelle sont hissés les comédiens. L'entrepôt de Sandman, aussi.

Mais la verticalité également dans une formidable scène.
Raiponce monte sur les épaules de son Lazlo, et les deux vont nous créer un arbre, avec son tronc, ses branches, ses racines, ses rameaux. Il y aura même un scolopendre.
Puis, les deux se transformeront en maison tout en hauteur, avec un vrai toit.
La scène est de toute beauté. Une beauté à la fois plastique et poétique.


Créé du 13 au 28 novembre derniers au Théâtre National de Strasbourg, ce spectacle pensé, imaginé, interprété par de tout jeunes gens force le respect.


Personne ne peut sortir indifférent du Théâtre de la Cité Internationale.
Je vous recommande vivement la virée poétique dans ces terrains vagues-là.

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