25 Novembre 2018
Au palais Garnier, Guillaume Gallienne propose une Cenerentola on ne peut plus réjouissante et enthousiasmante. Une production créée l'an passé avec des chanteurs-rôles principaux différents.
Voici donc une vision très inspirée, assez inhabituelle et plutôt sombre de l'opéra-bouffe de Rossini.
Sur le plateau, c'est un vrai moment de grâce, plaisir et de bonheur, grâce notamment à cette nouvelle distribution.
La Cenerentola. Cendrillon.
Celle qui trouve refuge devant les cendres de l'âtre, persécutée qu'elle est par ses deux demi-soeurs et son beau-père.
Celle qui demeure tout près d'un volcan. A Naples, par exemple.
D'ailleurs la scénographie d'Eric Ruf est très explicite. Le sol du plateau est recouvert de larges coulées de lave noire.
Nous voici prévenus : nous sommes dans un univers susceptible de connaître des éruptions volcaniques, un monde dans lequel il faut s'attendre à bien des séismes.
Une fois le rideau levé, dès la dernière note de l'ouverture, nous nous retrouvons devant la façade décrépite d'un palais italien. Les fils électriques courent anarchiquement, le salpêtre ronge l'enduit couleur ocre, vermillon, rouge sicilien.
Une façade délabrée d'un palais en état de déliquescence avancée, dans lequel vivent Cendrillon et sa terrible famille.
Rossini et son librettiste ont choisi une version du célèbre conte sans marâtre, sans fée, et sans soulier de vair. (Impossible, trop indécent, de montrer en 1817 les pieds des cantatrices en train d'essayer une chaussure...)
Mais le fond de l'histoire est celui que nous connaissons bien.
Guillaume Gallienne a situé l'action dans les années 60, du côté de Naples, donc.
Des deux lieux différents, le second étant une cour intérieure du Palais princier, il va nous donner une vision très cinématographiques de cet opéra. J'ai pensé à Rossellini, Comencini, Dino Risi...
Oui, c'est une comédie à l'italienne à laquelle nous assistons. Une comédie, certes, mais très acidulée, avec souvent des instants bien sombres et dramatiques. (Le metteur en scène appelle un chat un chat : les lanières méditerranéennes des portes se transforment en fouet. Cendrillon est bien une femme battue.)
Une grande tension dramaturgique va régner, avec bien des moments très drôlatiques parsemant ces deux heures et quarante minutes.
Deux enfants qui se transforment en âne, un pantalon qui tombe sur les chevilles sitôt la ceinture enlevée, un « Si ! » de l'héroïne qui déclenche les rires de la salle, un « marché » hilarant des prétendantes espérant séduire le Prince...
Et puis, le personnage du beau-père, Don Magnifico, interprété magnifiquement par le baryton Alessandro Corbelli, qui m'a irrésistiblement fait penser au clown italien Toto.
Le chanteur est très drôle, notamment au début du second acte, devant le rideau rouge.
Sur le plateau, devant les verticales sévères du décor d'Eric Ruf, une brillante distribution va enchanter nos yeux et nos oreilles, nous plongeant dans les délices du bel-canto à la Rossini.
J'ai retrouvé avec bonheur dans le rôle titre Marianne Crebassa, dont j'avais adoré son personnage de « Fantasio », dans la mise en scène de Thomas Jolly. Je l'ai applaudie également en début de cette saison, toujours à l'opéra-comique, dans Orphée et Eurydice.
En Angelina-Cendrillon, la mezzo-soprano est bouleversante de par son jeu et son très grand talent lyrique.
Elle a une nouvelle fois ravi le public de Garnier, par son timbre velouté, chaud, rond, sa belle tessiture, sa puissance vocale et ses délicieux piani. Ses nuances sont délicates, ses passages ornementaux de colorature sont merveilleux.
Le Prince est interprété par Lauwrence Brownlee, l'un des plus grands ténors actuels du bel-canto.
Il fera preuve de beaucoup de technique vocale, et jouera une certaine fragilité, renforcée par un handicap infligé par le metteur en scène : il porte en permanence une attelle à la jambe droite.
Ce sont donc deux êtres fragilisés, voire handicapés, qui vont se rencontrer, et tomber immédiatement amoureux l'un de l'autre. La proposition est très cohérente.
C'est le puissant baryton-basse Adam Plachetka qui incarne brillamment Alidoro, philosophe et précepteur du Prince don Ramiro. La rencontre avec Cendrillon sera un des grands moments de la soirée. A chacun de ses airs, il est applaudi ! Et ce n'est que justice !
Le rôle de Dandini, l'écuyer-valet de chambre-homme à tout faire du Prince est interprété de façon jubilatoire par Florian Sempey : le baryton est drôlissime en personnage truculent, extraverti, entreprenant avec les dames. Il m'a fait penser à José Garcia, dans sa faconde et son caractère entreprenant, osant tout.
Les deux sœurs sont interprétées par la soprano suisse Chiara Skerath et la mezzo Isabelle Druet. Elles aussi sont parfaites dans le rôle de ces deux méchantes créatures !
C'est Evelino Pido qui dirige de main de maître, retrouvant une nouvelle fois cette Rolls qu'est l'orchestre de l'Opéra de Paris. La partition de Rossini est mise en permanence en avant, avec une sensibilité et une précision remarquables. On vibre grâce à tous ces talents réunis.
Le chef remerciera longtemps les musiciens dès la dernière note envolée. Il serrera nombre de mains.
Le choeur, uniquement masculin, dirigé par José Luis Basso est un modèle d'homogénéité, de puissance ou de délicatesse.
Là aussi, de la très belle ouvrage.
Dès le deuxième salut, les rangs du parterre se lèvent comme un seul homme, votre serviteur le premier, pour une standing-ovation.
Cette Cenerentola, dans cette nouvelle distribution, est une belle réussite.
Une lecture plutôt inhabituelle de l'oeuvre, mais une lecture passionnante !