12 Juin 2018
Lettre ou ne pas lettre ?
Franz Kafka a définitivement tranché.
Entre 1912 et 1917, il enverra plus de cinq cents courriers à Frau Felice Bauer, une jeune femme berlinoise qu'il a rencontrée à Prague chez son ami Max Brod.
Un amour aussi platonique qu'épistolaire va naître et durer pratiquement cinq années.
En ces temps où aucun courriel, aucun texto ne peuvent transiter instantanément entre Prague, le lieu de résidence du jeune Franz et Berlin, où habite Felice, seule la lettre portée par la Poste va permettre à ces deux-là de correspondre.
Tous ces courriers kafkaïens ont été non seulement conservés, mais également publiés en 1967 chez Gallimard.
C'est de cet ouvrage qu'est parti Bertrand Marcos pour son adaptation et sa mise en lecture.
Dominique Pinon et Isabelle Carré liront en effet une sélection de ces missives. Et uniquement celles de l'écrivain.
Les lettres rédigées par Felice, les réponses, en quelque sorte, n'ont pas été conservées.
Dominique Pinon va porter magistralement ce spectacle.
De sa voix particulière, au grain prononcé, tour à tour timide, exalté, abattu, conquérant, doutant, se rassurant, il va dire les mots de Kafka de la plus belle manière qui soit.
Il vit véritablement ce qu'il lit, c'est une véritable leçon d'interprétation.
Les lettres retenues vont permettre de mesurer l'évolution de la relation amoureuse (platonique, je le rappelle...)
La façon de s'adresser à celle que Kafka rencontrera plusieurs fois néanmoins (ils se fianceront deux fois, mais sans aller plus loin), cette façon-là est assez éclairante.
Dominique Pinon va passer du « Vous » au « Tu » pour enchaîner par « Chérie » puis « Ma chérie ».
Le comédien nous fait sentir le désespoir causé par la lettre qui n'arrive pas, les jours fériés sans courrier, les reproches adressés à Felice .
J'étais alors totalement en phase avec lui, grâce à son interprétation, espérant que son personnage recevrait bientôt prochainement des nouvelles de Berlin.
En revanche, nous serons ravis par son enthousiasme, les jours où plusieurs plis de sa bien-aimée lui arrivent...
Cette correspondance amoureuse est également le prétexte pour l'auteur de parler de son œuvre, de ses hésitations, du caractère « étrange » de ce qu'il écrit. Il se juge d'une manière très sévère, s'étonne même de ce qu'il peut coucher sur le papier.
En 1915, en plein milieu de cette « période amoureuse à distance », il publiera La métamorphose.
Il doute de lui, et se dévalorise, même. (D'un point de vue littéraire, mais également physique!)
Il faut rappeler que de son vivant, il ne sera jamais reconnu comme un auteur.
Isabelle Carré quant à elle lit les lettres que son personnage reçoit, pas celle que Felice écrit, on a vu pourquoi.
Il faut absolument assister à ce spectacle, et aller écouter et voir Dominique Pinon, qui nous donne un magnifique moment de théâtre.
L'amour, c'est simple comme une lettre, finalement
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(Ps : ne pas croire forcément la dernière ligne écrite...)