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L'avare

(c) Photo Y.P. -

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L'oseille, le flouze, la maille, le blé, le grisbi, la monnaie, les picaillons.
L'argent. Encore et toujours...
L'accumulation des biens, la thésaurisation à outrance, le toujours plus !


L'un des principaux intérêts de cette version très actuelle de la pièce de Molière mise en scène par Ludovic Lagarde est de mettre en parallèle la définition de l'avarice en 1668, date de la création de la pièce et la vision que nous pouvons avoir du poids et de la dictature du fric.

 

Pour les contemporains de M. Poquelin, l'avarice, ce n'est pas la lésine, la ladrerie. Non.
Ce qui était considéré comme l'un des plus grands vices de l'époque, avec l'hypocrisie, c'est bien l'obsession maladive de la richesse, et son corollaire pour arriver à ses fins, à savoir la pratique de l'usure. (Le prêt à intérêt était alors théoriquement fortement condamné par l'Eglise.)


On le voit, le thème est très actuel : l'ultra-libéralisme, l'ultra-capitalisme, le poids du système bancaire dans l'économie mondiale sont autant de mécanismes qui peuvent miner nos modernes sociétés.

 

Harpagon n'est pas ici un vieillard souffreteux, aux vêtements élimés et rapiécés.
Dans cette version, c'est un redoutable et impitoyable chef d'entreprise, (son chez-lui, c'est un entrepôt de caisses de marchandises diverses et variées sur palettes), un businessman qui entasse, accumule ses biens et ses richesses, et qui pratique illégalement le métier de banquier.


Et qui dit argent, dit violence. Ultra-violence, même. Morale et physique.
Lagarde est allé très loin dans cette violence : le personnage principal se promène la moitié du temps avec un fusil de chasse, les coups pleuvent, le sang coule, ça crie ça hurle sur le plateau.
Certes, l'ambiance est drôle, mais elle également très tendue.

Cet Harpagon, par son rapport à l'argent, va créer en permanence de la frustration. Beaucoup de personnages seront frustrés, privés qu'ils sont du nerf de la guerre. Sans argent, on ne peut exister dans notre société de consommation.

(La scène du « télé-achat » est de ce point de vue exemplaire. Il faut consommer, à tout prix.
Je vous laisse bien entendu découvrir...)

Laurent Poitrenaux sera un avare sous amphétamines.
Son personnage est un excité permanent, une sorte de héros de cartoon à la Chuck Jones.
Le comédien déclenche très souvent les rires, avec ses changements de hauteur de voix, ses inflexions, ses ruptures, sa gestuelle, ses attitudes.

Deux scènes sont particulièrement hilarantes.
Tout d'abord, ses efforts pour paraître jeune aux yeux de Marianne, sa façon de décliner son compliment en scansion hip-hop.

 

Et puis il y a cette scène digne du film « The Party » de Peter Sellers.
A la scène des fruits, en costume trois-pièces avec une écharpe, affublé alors d'une petite moustache et de grosses lunettes et rythmant de la main une sorte de bossa-nova d'ascenseur, il est tout à fait dans l'ambiance du long-métrage.

 

Poitrenaux sera également terrifiant : odieux, machiavélique et surtout pervers.
Cet Harpagon-là n'est pas un enfant de choeur. Il m'a fait par moment penser à un véritable chef de loge mafieuse.

 

La célébrissime scène « des mains » est habilement négociée dans ce sens. La Flèche (Julien Storini) est mis en joue, il lève les mains en l'air, et la fouille sera « très au corps ». (Je n'en dirai pas plus. C'est à la fois drôlissime et glaçant, si l'on y réfléchit un peu...)

Christèle Stual est une Frosine-femme d'affaires très portée sur le gin. La comédienne est parfaite en poivrote plus ou moins mondaine, cheveux blonds et jupe au dessus du genou. (Non, je ne fais allusion à personne...)

 

J'ai beaucoup aimé le Valère d'Alexandre Pallu, qui, dans le registre de la flagornerie, de la lâcheté et de l'hypocrisie, est excellent. Il m'a fait beaucoup rire.
Son rôle est risqué, parfois bombardé qu'il est de pommes de terre (ses lunettes en sont tombées hier par terre), ou en proie aux gifles de sa chère Elise.

Une Elise interprétée par Myrtille Bordier qui elle a bien étudié les habitudes revendicatives des Femen.

Ludovic Lagarde a choisi d'amputer la fin de la pièce. Ici, tout s'arrête au moment ou Harpagon retrouve sa cassette. C'est son choix. Une option qui dans sa démonstration est plutôt pertinente.
Le symbole de sa richesse retrouvée clôturera les deux et quarante minutes que dure le spectacle. Le monde de l'argent peut respirer.

C 'est donc une vision très intéressante et très réjouissante qui nous est proposée, avec des parti-pris très affirmés qui fonctionnent.
C'est un Avare à charge, qui dénonce et qui interpelle les citoyens que nous sommes.

Et qui au passage, nous rappelle s'il en était encore besoin, l'intemporalité et l'universalité du propos de Molière.

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