16 Mai 2018
Aller monter « Antigone » de Jean Anouilh, en plein Beyrouth, dans le chaos libanais des années 1980.
Voici ce que va demander Samuel, metteur en scène grec et juif, à son amie par ailleurs mère d'une petite fille.
Lui, il ne peut plus. Phase terminale. Ses jours sont comptés.
C'est une quête, un voyage initiatique qui vont se dérouler devant nos yeux.
Un périple entre la vie et la mort, entre la réalité et le théâtre, entre la mythologie grecque et l'actualité politique, entre la douceur et l'ultra-violence.
Le quatrième mur, c'est un roman de Sorj Chalandon, ex-grand reporter, prix Albert-Londres en 1988, l'un des premiers journalistes à être entré dans le camp de Chatila, après le massacre.
Un roman-documentaire. Parce qu'il faut raconter la barbarie, la guerre civile, les conflits religieux.
Parce qu'il faut témoigner.
Le metteur en scène Julien Bouffier a admirablement repris à son compte cette question documentaire, qui constitue une grande partie de son travail depuis une dizaine d'années.
Ici, il s'agit de recréer une micro-société symbole de la société beyrouthine, en l'occurrence une troupe de comédiens, ceux qui vont monter cette Antigone.
Des comédiens disparates, une troupe oecuménique, puisqu'ils représentent toutes les factions en présence à l'époque : maronites, druzes, chiites, juifs...
Une aventure théâtrale tente de s'inventer devant nos yeux.
La tâche est complexe. Très.
L'horreur est présente, omniprésente.
Le jeu et l'art peuvent-ils surmonter la guerre fratricide ?
Ni Sorj Chalandon, ni à fortiori Julien Bouffier et ses comédiens ne donneront de réponse à cette question.
Il s'agit ici de faire exploser le quatrième mur, symbole de la mise à distance, et grand vecteur cathartique.
Dans le jargon théâtreux, le quatrième mur, c'est cette limite imaginaire et virtuelle entre les spectateurs et ce qui se passe sur la scène.
Dans cette pièce, ce mur virtuel sera constitué d'un écran sur lequel seront projetées de magnifiques et intenses images video, que l'on doit à Laurent Rojol.
Là aussi, volonté documentariste affirmée, avec Beyrouth la ville meurtrie, défigurée, criblée de balles, ensanglantée.
Les comédiennes, qui jouent derrière cet écran, en transparence, évoluent donc au sein d'un maelström d'images fortes et belles (oui, la guerre peut être photogénique...) de bruits, de sons.
Avec la musique forte, lancinante et en live de Alex Jacob, côté jardin. (Sa version de «The sounds of silence » est bouleversante et déchirante.)
Le point culminant, ce sera le massacre de la population civile palestinienne à Sabra et Chatila.
Le quatrième mur sera bel et bien désagrégé, au propre comme au figuré.
Parce qu'à un moment, la distanciation, ça suffit. Nous tous devons être pris à partie, nous tous devons prendre parti en recevant en pleine figure une dénonciation politique de l'inacceptable.
Dans le cas présent, la dramaturgie et la scénographie très originales d'Emmanuelle Debeusscher et Julien Bouffier fonctionnent parfaitement. La cadre habituel va voler en éclats.
C'est un véritable coup de poing qui nous est asséné.
Impact de la guerre, impact du théâtre, voici ce à quoi nous devons réfléchir.
Au lendemain de ce qui s'est passé à Gaza ce lundi 14 mai 2018, où encore (et toujours) des populations civiles ont été massacrées au Moyen-Orient, émouvant la communauté internationale hélas assez apparemment "impuissante", ce poignant et indispensable moment théâtral se révèle d'une hélas troublante actualité.
Le théâtre, une nouvelle fois, en représentant le monde tel qu'il est, nous force à nous positionner.
A faire exploser en chacun de nous notre propre quatrième mur.
Le Quatrième mur - Théâtre Paris-Villette
" Tu vas monter Antigone... Tes personnages t'attendent, ils sont prêts ". Sur son lit d'hôpital, Samuel, metteur en scène grec et juif, exilé à Paris, demande à son amie de poursuivre sa mi...
http://www.theatre-paris-villette.fr/spectacle/le-quatrieme-mur-2/