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Phèdre

(c) Photo Y.P. -

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Ah ! Phèdre !
On croyait la connaître, la fille de Minos et de Pasiphaé ! Et pourtant...


Si l'on connaît bien en effet la Phèdre de Racine, celle de Sénèque, en revanche, nous est plus éloignée. On en savait beaucoup moins sur elle.


Cette Phèdre-là n'avait jamais été représentée à la Comédie Française.
La jeune metteure en scène Louise Vignaud, invitée par Eric Ruf, s'est donc armée d'un certain courage. Un courage qui paye et qui porte ses fruits, car elle nous propose une vertigineuse plongée passionnelle dans le mythe et la symbolique de la transgression et de l'inceste.


Pour ce faire, elle a choisi dans un premier temps la traduction très actuelle et très pêchue de Florence Dupont (publiée chez Actes Sud, dans la collection Thésaurus.)
Les mots de Sénèque ainsi traduits sont d'une confondante modernité, et résonnent de troublante façon à nos oreilles.

La « jungle urbaine » est évoquée, on nous dit qu'  « on ne verse pas sous prétexte de religion de sang sur les autels », que « dans les républiques, les peuples élisent des crapules »...


C'est Hippolyte qui apparaît sur le plateau en premier.
Tout en muscles, tout en fureur plus ou moins contenue, le glaive à la main, Nâzim Boudjenah, magnifique de puissance intérieure et extérieure, est un fauve-chasseur prêt à bondir sur sa proie.


Phèdre, en robe dorée, et la Nourrice lui succèdent.
Au bout de dix minutes, tout sera exposé.
Claude Mathieu, épatante en gardienne de la morale, en garante de l'ordre établi, avertit solennellement sa protégée : « Tu vas dans ton lit confondre le père et le fils ! »
Phèdre n'en a cure, elle l'aime, son Hippolyte de beau-fils.


Lui, hélas pour elle, n'aspire qu'à une seule chose : retrouver la vie des premiers hommes, proches de la nature, les Purs, avant que le pouvoir et la corruption s'emparent des âmes.
Lui, il hait les femmes. Voilà, c'est dit !


Jennifer Decker, en Phèdre, m'a littéralement fasciné. De sa voix un peu éraillée, elle réussit avec une rare justesse à exprimer la passion à la fois irrépressible et impossible qui l'anime. Elle alternera sauvagerie et désespoir les plus extrêmes.
C'est une femme acculée par le destin qui est devant nous.


Dans une scène totalement maîtrisée, d'une rare violence passionnelle et émotionnelle, la comédienne incarne alors une femme ivre de désir trop longtemps contenu, l'assouvissant pleinement et sauvagement.
Nâzim Boudjenah prendra alors un ton exalté, véhément, horrifié, qui s'amplifiera avec le quasi viol que son personnage va subir !

Le choeur (Pierre Louis-Calixte, à moitié métamorphosé en cerf, symbole mythologique de l'éternel cycle de la vie, ses bois tombant et repoussant chaque printemps), après avoir célébré l'amour, tombera dans la plus grande des fatalités.
Le comédien, malicieux puis accablé, nous renvoie alors à nos propres conceptions morales.


Exit Hippolyte, donc. C'est du fond de la salle que la Nourrice narrera le récit halluciné de sa mort.
Retour de Thésée.

 

C'est Thierry Hancisse qui va de façon magistrale endosser le rôle du père et du mari.
Il sera bouleversant, en homme outragé qui comprend les événements qui se sont déroulés en son absence.

Dans une dernière scène qui confine au sublime, très peu éclairée, lui et Melle Decker, avec une rare intensité de jeu, vont conclure le drame qui s'est joué et le chaos qui en découle.
Il a perdu son fils, elle a perdu l'homme qu'elle aime.
Le comédien est alors déchirant de désespoir, pleurant, bavant, reniflant, toujours juste dans ce total désarroi.
Elle aussi est parfaite d'abandon désespéré.
Les deux nous font magistralement comprendre que leurs personnages ont tout perdu.
C'est assurément une scène qui marquera la saison théâtrale.

Louise Vignaud, servie donc par une somptueuse distribution on ne peut plus cohérente et investie, nous plonge dans une totale et exacerbée joute passionnelle.

J'ai été véritablement submergé par ce flot de sentiments à la fois violents et intemporels qui s'expriment à travers les mots et les corps.
C'est un moment très important de théâtre qui nous est proposé.

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