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Mârouf, savetier du Caire

(c) Photo Y.P. -

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Les Cairotes sont cuites, nous assure-t-on, mais elles sont parfois « calamiteuses » !
C'est en tout cas le qualificatif qu'emploie ce pauvre savetier qu'est Mârouf à propos de sa harpie de femme, une vraie garce qu'il va d'ailleurs s'empresser de quitter dès le début du premier acte !


S'étant échoué sur une plage du sultanat de Khaïtan, puis retrouvant un ami d'enfance, il va se faire passer, mythomane qu'il est, pour un richissime marchand, attendant incessamment sous peu sa magnifique et opulente caravane.


Il n'en faut pas plus pour que le sultan local veuille le marier à sa délicieuse et adorable fille, malgré un méchant et vilain vizir qui veille au grain.


Mârouf enlevant la princesse (totalement consentante, tombée sous son charme) est démasqué.
Bien entendu, dans ce conte digne des mille et une nuits, tout finira bien.


Voici en quelques mots l'argument de cet opéra-comique composé par Henri Rabaud en 1914.
A ma grande honte, j'ignorais jusqu'au nom de ce musicien, qui, dans cette œuvre orientalisante à souhait, démontre un remarquable sens harmonique.


Cette oeuvre est d'une vraie richesse orchestrale et musicale.
De multiples influences peuvent être décelées ici et là.
Moi, j'ai pensé à une sorte de mélange entre Puccini et Stravinsky, avec des phrases musicales denses, intenses, richement colorées, harmoniquement très subtiles.


Pendant presque trois heures, la musique n'arrête pratiquement pas. Tout coule, tout s'enchaîne, pas de récitatifs, peu de respirations. Quand on ne chante pas, on danse sur cette musique à l'écriture modale et orientaliste.

 

La salle Favart reprend en ce printemps cet opéra-comique mis en scène par Jérôme Deschamps en 2013.
Les trois premiers actes sont plutôt assez sages. Il faut dire que le décor très classique fait de pans en perspective forcée peints en grands à-plats de couleurs assez ternes n'aide pas à inspirer la folie. Après l'entracte, on retrouve la patte du papa des Deschiens. Les choses s'animent alors vraiment.

Les costumes de Vanessa Sannino sont quant à eux très colorés, ce qui contraste avec la scénographie. Les chapeaux et les coiffures imposantes indiquent métiers ou positions sociales. (C'est ainsi que le muezzin se voit doté de façon amusante d'un grand porte-voix sur la tête.)

Marc Minkowski, à la baguette, tire le meilleur de l'orchestre national Bordeaux-Aquitaine. Délaissant une nouvelle fois le répertoire baroque, il a su restituer pleinement l'ampleur de cette œuvre, à l'orchestration et à l'instrumentation singulières.

Trois excellents artistes lyriques illuminent cette production.
Tout d'abord, Jean Teitgen est un magnifique Sultan de Khaïtan.
Sa voix de basse, ronde, pleine, m'a enthousiasmé. C'est un puissant patriarche, c'est un père, c'est un hiératique notable qui s'exprime. Quelle belle et passionnante prestation !

La princesse Chaamcheddine est interprétée par la soprano Vannina Santoni.
La remarquable chanteuse allie technique vocale, virtuosité, joie évidente de se trouver là, et qualités indéniables de comédienne.
C'est un vrai plaisir que de la voir et l'entendre jouer cette princesse éprise d'un miséreux. Nous la retrouverons très bientôt dans ce même endroit pour la Nonne sanglante, de Gounod.

Ce savetier, c'est l'excellent (je mesure cet épithète) Jean-Sébastien Bou.
Le jeune baryton illumine le rôle. Il est omniprésent, et d'un charisme époustouflant.

Chacune de ses interventions est un moment de plaisir, de joie pour les oreilles et les yeux. A chaque fois, c'est un véritable moment de félicité.

Lui aussi est un véritable comédien. Les duos avec Melle Santoni sont totalement justes et crédibles.
Jérôme Deschamps le fait chanter avec de la crème fouettée plein le visage, se versant une bassine d'eau sur lui, ou bien complètement allongé ou encore la tête sur un billot.
Un vrai régal ! C'est lui qui recueillera logiquement le plus d'applaudissements nourris et de « bravi » !.

Il faut vraiment aller découvrir ou redécouvrir cette œuvre assez méconnue, qui rencontra un vrai succès international entre les deux premières guerres mondiales.

La richesse de la partition d'Henri Rabaud est porteuse de bien des émotions.
Le livret très humoristique et spirituel de Lucien Népoty procure quant à lui bien des rires.
C'est un bien beau moment de théâtre musical qui est proposé.

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