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Rencontre avec Michel Vinaver et Gilles David

Michel Vinanver - Gilles David - (c) Photo Y.P.

Michel Vinanver - Gilles David - (c) Photo Y.P.

Mercredi soir dernier, à l'issue de la formidable réprésentation de « La demande d'emploi », quelques spectateurs, dont votre serviteur, avons eu le grand plaisir de rester au Studio-Théâtre de la Comédie Française.
En effet, le metteur en scène de la pièce Gilles David, en compagnie de l'auteur en personne, Michel Vinaver, un jeune homme de 90 ans, sont montés sur scène afin de répondre aux questions que la salle a bien voulu leur poser.
Voici une retranscription (forcément réductrice) de ce très beau moment.

 

J'ai ouvert le feu des questions.

- Michel Vinaver, vous avez écrit « La demande d'emploi » en 1970/71. Vous venez tout récemment de publier avec le succès que l'on sait « Bettencourt Boulevard »
Au regard de la problèmatique de la pièce jouée ce soir, quel jugement portez-vous sur l'évolution de la société française, sur le monde du travail, en particulier ?


M.V.

En 1970, le chômage des cadres n'était pas un grand sujet d'inquiétude, tout au plus, un sujet de curiosité. Ceci a changé de fond en comble. De la curiosité, on est passé à la fatalité.
D'un sujet certes pénible, douloureux, on est passé à un sujet de dépression, de désespoir.
Mais en terme d'évolution, rien n'a vraiment changé.
La détresse de quelqu'un qui est éjecté du système par ce système est le thème principal de ma pièce. C'est un filet qui se resserre, avec les incidences sur la vie quotidienne.

Une question a ensuite été posée concernant la fin de « La demande d'emploi ».
La fin de la pièce se termine sur une interrogation. Qu'advient-il de Fage, a-t-il trouvé une solution ?


M.V.

Effectivement la question reste ouverte. Tout au long de ce que j'ai écrit, dans mes pièces, il m'a toujours été difficile de conclure. J'aime faire en sorte que toutes les hypothèses restent ouvertes.
La vérité réside dans cette « fourche d'indécision ».
C'est aux spectateurs de conclure, de se faire leur propre fin.

Un homme et un frigo. (c) Photo Y.P.

Un homme et un frigo. (c) Photo Y.P.

Puis, vint une question pour Gilles David, sur son approche de la mise en scène, de la scénographie. avec notamment la curieuse présence d'un vieux réfrigérateur sur le plateau.
 

G.D.

Le premier titre de cette pièce a été « L'école du théâtre ». [NDLR : il se tourne vers Michel Vinaver qui confirme]
Il s'agit d'un espace ou ce sont la parole et les jeux qui doivent surtout pris en compte.
C'est pour cette raison, que j'ai choisi cette sorte de « ring » blanc vide. Il s'agit d'un espace dans lequel les quatre personnages se « combattent ».
Alors pourquoi le frigo : il m'a semblé que cet objet figurait à la fois dans les bureaux des entreprises et dans les habitations. C'est peut-être le seul point commun de ces deux lieux.
Une anecdote : quand le régisseur du spectacle a vu qu' un réfrigérateur allait figurer sur scène, il en a acheté un tout neuf, mais j'ai tenu à ce que celui que j'avais prévu soit bien présent sur le plateau.[NDLR : le frigo en question n'est effectivement plus de première jeunesse, il n'est plus tout blanc...]

 

M.V.

Effectivement, il s'agit d'un ring.

Gilles a beaucoup travaillé ma pièce. C'est un véritable défi pour un metteur en scène, pour des comédiens.
Sa mise en scène rend compte d'un principe qui me guide : l'écriture n'est pas illustratrice d'une idée, d'une cause. Il n'y a pas un sens à la pièce, la pièce, c'est le sens.
La difficulté réside également dans le fait qu'il y a également une trentaine de thèmes qui résonnent les uns les autres. C'est une image multiple de l'imitation du réel.

J'ai voulu ensuite savoir comment Gilles David avait travaillé avec ses quatre camarades-comédiens : est-ce que, comme dans la pièce, il les avait soumis à un entretien d'embauche, et même est-ce qu'il avait dû les fouetter, comme le Chasseur de têtes Wallace ?

G.D.
Vous n'avez pas tout à fait tort, à propos du fouet !
Car c'est un véritable entraînement athlétique auquel je les ai soumis. Je me suis comporté un peu comme un coach sportif.
Les répétitions ont duré trois mois.
Il fallait vraiment avoir quatre virtuoses, qui ont dû en permanence se poser les questions suivantes :

  • A qui je parle ?

  • De quoi je parle ?

Il a fallu se poser la question également de savoir comment circulaient ces mots, ces paroles, comment mettre en place ces ruptures permanentes.

M.V.
Il a fallu également qu'ils travaillent beaucoup sur cette ligne de crête que constitue la dualité de la relation des deux hommes : Bourreau/Victime, Amour/Haine, afin que l'entretien parvienne à son but.
Le but de Fage est de plaire, de séduire, celui de Wallace est de laisser révéler les qualités et les faiblesses du candidat.

G.D.
Le premier titre de la pièce était effectivement 'L'école du Théâtre ».
Je fais beaucoup travailler cette pièce dans des écoles de théâtre, dans différents stages que j'anime.
Pour faire ses games, sans affect particulier, elle est parfaite.
Mais je répète que j'avais cette fois-ci quatre virtuoses.

Michel Vinaver, dans la pièce vous écrivez « Pourquoi on travaille ? Pour gagner sa vie, mais quelle vie ?"
Est-ce que vous, vous avez la réponse à cette terrible question ?


M.V.
Moi, je n'ai pas à donner cette réponse. C'est au spectateur à s'interroger, à se forger sa propre opinion.

Quel est votre rapport à la feuille blanche ?

M.V.
Selon moi, l'auteur est un archéologue. Il fouille le sol sur lequel il est. Il ne sait pas ce qu'il va trouver.
Je suis un « fouilleur ». Je n'ai pas une image précise de la pièce que je vais écrire.
En revanche, je suis très attentif à cet exercice de fouille.

Une jeune femme a ensuite posé une question très pertinente, très en phase avec l'actualité.

Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'à la différence des années 70, les jeunes aujourd'hui, en 2016, doivent de plus en plus se justifier, et que la situation est beaucoup plus difficile pour eux ?

M.V.
En 1970, il me semble que les jeunes étaient en prise sur la possibilité d'agir sur le monde dans lequel ils vivaient.
Aujourd'hui, en 2016, je pense qu'on assiste davantage à un sentiment d'impuissance, de résignation. Je ressens beaucoup moins de ressort tel qu'on peut le trouver dans ce personnage de Nathalie.
Mais vous, qu'en pensez-vous ?

La jeune femme a répondu qu'elle avait posé cette question car justement, elle s'interrogeait : elle se demandait si la radicalisation des jeunes était la solution ou s'il allait être nécessaire de trouver d'autres moyens d'action.

M.V.
Malgré tout, l'espoir subsiste. Et ce, malgré les petits et grands écrans qui submergent tout le monde et entraînent une forme d'inaction.

Une dernière question très intéressante a concerné le mot « révolution », avec son double sens.

M.V.
Effectivement, dans mes pièces, la révolution concerne également le phénomène de l'astre qui retourne à son point de départ.
Les dernières répliques rejoignent souvent les premières, ce qui évoque également la spirale.

Michel Vinaver et Gilles David sont ensuite descendus de la scène sous les applaudissements nourris.
Je n'ai pu résister à l'envie de demander à cet auteur majeur de me dédicacer mon tome 3 de son théâtre, tome dans lequel figure "La demande d'emploi".
Pendant qu'il s'exécutait, je l'ai chaleureusement remercié, et lui ai confié que je pensais sincèrement que sans lui, nos vies seraient beaucoup plus tristes.

Il m'a alors adressé un grand sourire.


De ces sourires que l'on n'oublie pas.

(c) Photo Y.P.

(c) Photo Y.P.

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