27 Mai 2016
« Vaisselle cassée, c'est la fessée,
Vaisselle foutue, panpan cul-cul ! »
En écrivant ces deux lignes, le grand philosophe Pierre Perret était-il à ce point visionnaire qu'il ait autant anticipé cette adaptation par Séverine Chavrier du « Déjeuner chez Wittgenstein »de Thomas Bernhard ?
Car ils en cassent, sur scène, les trois comédiens, de la porcelaine blanche !
Serait-ce une image métaphorique de la fragilité de notre existence ?
Et qui plus est, à grand renfort de sonorisation rugissante, de cordes de piano frottées hyper-amplifiées, de platines vinyle survitaminées, de bris d'assiettes, de hurlements du texte....
Les amateurs de décibels se régalent !
Mais reprenons depuis le début.
On connaît l'argument de la pièce : deux sœurs, comédiennes plus ou moins ratées récupèrent chez elles leur frère, philosophe jusque là interné dans un asile psychiatrique.
Mais le fou bernardhien est-il si fou de crier sa haine du passé de son pays, l'Autriche, de sa détestation de l'héritage familial ?
Lui, va poser les vrais problèmes !
Qui est le plus fous de tous, dans ces ateliers Berthier ?
Séverine Chavrier a choisi d'adapter ce déjeuner, et non pas de le donner tel qu'écrit par l'auteur.
Etait-ce là une bonne idée ?
Oui : après tout, je le répète souvent ici, il faut bousculer le théâtre, les textes et les auteurs.
Non : finalement, la préoccupation de la metteure en scène suisse passent devant celles du dramaturge autrichien. Elle a mis l'accent sur la musique, étant elle-même une excellente pianiste.
Des centaines de vinyles jonchent le sol, les pochettes sont accrochées au mur, des micros sont placés dans les objets, Wagner gronde, on entend des sons divers et variées, des scratchs, des craquements.
Tout ceci provoque une impression de saturation, comme lorsqu'on est devant une pub télé où le son est compressé au maximum et en permanence.
Deux heures trente cinq de ce régime est assez éprouvant.
Alors, bien entendu, et heu-reu-se-ment, les trois comédiens sont épatants.
Et notamment le fabuleux Laurent Papot, qui n'arrête pas un seul instant !
Survitaminé, hyper-actif, survolté : pour dépoter, il dépote !
Avec de grands moments hilarants :
la scène des profiterolles est à tomber par terre.
Sa façon de parler en crachant des grains de riz sur ses deux sœurs est jubilatoire... (J'avoue que j'y ai pris un plaisir sadique... Honte à moi ! )
Ses réflexions et analyses sur le suicides et les suicidaires sont drôlissimes, et l'on ne peut que rire.
Il est vraiment grandiose !
D'autant qu'il est vraiment « dedans » : ce soir-là, pendant l'une de ses tirades, un petit papillon de nuit virevoltait au dessus de la grande table : il n'a pas hésité à s'en servir, en improvisant une petite scénographie...
Formidable, ce Laurent Papot, vous dis-je !